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Diplomatie

Crise entre la France et l’Algérie : Abdelmadjid Tebboune joue la carte de l’apaisement

Lors d’une interview retransmise samedi 22 mars par la télévision nationale, le président algérien a appelé à l’apaisement, assurant qu’Emmanuel Macron reste son «unique point de repère» face à la crise diplomatique entre Paris et Alger.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 14 février 2025. (Amanuel Sileshi/AFP)
publié le 24 mars 2025 à 12h53

Après la pluie, le beau temps ? Après plusieurs mois de tensions d’une rare intensité entre Paris et Alger, le président algérien Abdelmadjid Tebboune tente de jouer la carte de l’apaisement. «Pour ne pas tomber dans le brouhaha ni le capharnaüm politique là-bas [en France], je dirais seulement trois mots : nous, on garde comme unique point de repère le président Macron», a déclaré le locataire du palais d’El Mouradia lors d’une interview avec un groupe de journalistes de médias publics, retransmise samedi 22 mars au soir par la télévision nationale.

Il y a eu «un moment d’incompréhension, mais il reste le président français et tous les problèmes doivent se régler avec lui ou avec la personne qu’il délègue, à savoir les ministres des Affaires étrangères entre eux», a-t-il poursuivi, réitérant ainsi le refus de l’Algérie de traiter avec le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui se pose en première ligne dans la gestion de la crise entre les deux pays. Pour le chef de l’Etat, Emmanuel Macron est son «alter ego, on a eu des moments de sirocco, des moments de froid», mais «c’est avec lui que je travaille». Abdelmadjid Tebboune a également cité quelques «amis» français de l’Algérie : Maurice Audin, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Simone Veil ou encore Gisèle Halimi.

Le cas Boualem Sansal

Ces déclarations présidentielles surviennent après une succession de contentieux depuis juillet 2024 quand Emmanuel Macron a décidé de soutenir un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara-Occidental. Ce territoire au statut non défini selon l’ONU est revendiqué par les indépendantistes du Polisario, soutenus par Alger qui a réagi en retirant son ambassadeur à Paris. Sur ce dossier, Abdelmadjid Tebboune a assuré que l’amitié entre Paris et Rabat «ne nous dérange pas du tout, contrairement à ce qu’on dit» : «La France et le Maroc s’entendaient très bien, même avant notre indépendance. Et cela ne dérange pas l’Algérie. Nous savons que la France a toujours été du côté du Maroc dans le dossier du Sahara-Occidental. Mais faire cela d’une manière ostentatoire pose problème. Elle dérange l’ONU et la légalité internationale.»

A l’automne, la brouille entre les deux pays s’est aggravée avec l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, jugé ces jours-ci à Alger, pour des propos tenus sur le média français Frontières, réputé d’extrême droite, considérés comme portant atteinte à l’intégrité du territoire algérien. Le président français a demandé fin février à son homologue de «régler» le cas Sansal pour «rétablir la confiance» mutuelle, disant s’inquiéter pour la santé de l’intellectuel, atteint d’un cancer, pour lequel un parquet près d’Alger a requis dix ans de prison ferme avec un verdict prévu jeudi prochain. En déplacement à Bruxelles jeudi 20 mars, Emmanuel Macron a dit souhaiter «une issue rapide» et que l’écrivain «puisse retrouver la liberté».

Pour le chef de l’Etat algérien, le contentieux actuel a été «créé de toutes pièces» mais désormais «il est entre de bonnes mains». Il a cité notamment le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, «qui a toute (s) a confiance». Plusieurs communiqués de son ministère ont décrit l’Algérie comme victime d’une cabale de «l’extrême droite française revancharde et haineuse». Pour lui, on est face à «deux Etats indépendants, une puissance européenne et une puissance africaine, et on a deux présidents qui travaillent ensemble, tout le reste ne nous concerne pas».

«Liberté d’expression»

Abdelmadjid Tebboune a également a abordé la question des Algériens sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), un dossier qui a enflammé les esprits à Paris début janvier quand des influenceurs, accusés d’avoir menacé des opposants au pouvoir algérien exilés en France, ont été expulsés mais immédiatement refoulés par l’Algérie. La crise a atteint son paroxysme après l’attaque au couteau de Mulhouse ayant fait un mort, commis par un Algérien qui avait fait l’objet de plusieurs OQTF, refusées par l’Algérie.

Le ministre français de l’Intérieur a menacé d’une «riposte graduée» si l’Algérie continue de refuser d’admettre ses ressortissants expulsés. Abdelmadjid Tebboune a cité le cas d’un Algérien placé sous OQTF pour avoir «dénoncé le génocide à Gaza». «Quand on met la poussière sous le tapis, cela devient irrespirable [pour la France]. Cela nous renvoie à la liberté d’expression», a ajouté le président algérien, citant le journaliste Jean-Michel Aphatie, qui a provoqué une vive polémique en comparant les crimes commis par la France en Algérie pendant la période coloniale avec ceux des nazis à Oradour-sur-Glane.

Le chef de l’Etat a enfin tenu à rassurer la diaspora algérienne en France, régulièrement pointée du doigt par l’extrême droite : «Je dis à notre communauté en France que nous sommes là. Personne ne pourra les toucher. Qu’ils respectent l’Etat et les lois du pays, rien ne leur arrivera.»