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Prisonniers politiques

Cybersurveillance en Egypte : Nexa Technologies mise en examen pour «complicité de torture»

La société française est accusée d’avoir vendu au régime égyptien du matériel qui lui aurait permis de traquer des opposants d’Abdel Fattah al-Sissi.
Dans le stade Borg al-Arab à Alexandrie, en 2019. (Islam Safwat/NurPhoto via AFP)
par AFP
publié le 28 novembre 2021 à 12h08
(mis à jour le 28 novembre 2021 à 16h30)

La société française Nexa Technologies, accusée d’avoir vendu du matériel de cybersurveillance au régime égyptien, qui lui aurait permis de traquer des opposants, a été mise en examen en octobre pour «complicité d’actes de torture et de disparitions forcées», a appris dimanche l’AFP, de source proche du dossier, confirmant une information parue cette semaine dans Télérama.

«Système d’écoute à 10 millions d’euros»

Cette mise en examen a été prononcée par la juge d’instruction chargée des investigations le 12 octobre, environ quatre mois après celles de quatre dirigeants et cadres de la société, selon cette source, confirmée par une source judiciaire. Contacté par l’AFP, l’avocat de Nexa Technologies, François Zimeray, n’a pas souhaité faire de commentaires.

Une information judiciaire avait été ouverte en 2017 à la suite d’une plainte de la Fédération internationale des droits humains (FIDH) et de la Ligue des droits de l’homme (LDH) déposée avec le soutien du Cairo Institute for Human Rights Studies (Cihrs). Celle-ci s’appuyait sur une enquête du magazine Télérama révélant la vente en mars 2014 d’«un système d’écoute à 10 millions d’euros pour lutter – officiellement – contre les Frères musulmans», l’opposition islamiste en Egypte.

«40 000 prisonniers politiques»

Appelé Cerebro, ce programme permet de traquer en temps réel les communications électroniques d’une cible, à partir d’une adresse mail ou d’un numéro de téléphone par exemple. Les ONG accusaient ce logiciel d’avoir servi la vague répressive contre les opposants d’Abdel Fattah al-Sissi, qui selon le Cihrs s’est traduite par «plus de 40 000 prisonniers politiques en détention en Egypte».

L’enquête menée par le pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris a ainsi pour but de déterminer si un lien entre l’utilisation de la surveillance et la répression peut être démontré. Nexa est dirigée par d’anciens responsables d’Amesys, visée par une autre information judiciaire depuis 2013 pour avoir vendu au régime de Mouammar Kadhafi entre 2007 et 2011 un logiciel appelé à l’époque Eagle – ancêtre de Cerebro – et qui aurait servi à arrêter des opposants libyens. Dans cette enquête, Amesys et celui qui en fut le président jusqu’en 2010 ont aussi été mis en examen en juin.

Par ailleurs, selon une source proche du dossier confirmant une information de Libération, les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH) soupçonnent Nexa d’avoir voulu vendre un système tactique d’interception cellulaire baptisé «Alpha Max» au maréchal Haftar, homme fort de l’Est de la Libye.

Dans un rapport de synthèse, les enquêteurs indiquent qu’un des dirigeants mis en examen dans le volet égyptien avait reconnu en audition «cette vente entre Nexa et l’Armée nationale libyenne du maréchal Haftar».

Des documents contractuels entre Advanced Middle East System, autre entité de droit émirati créée en parallèle de Nexa Technologies en 2012, et le ministère libyen des communications et de l’information technologique de Benghazi ont été saisis en perquisition.

Embargo de l’ONU

La Libye est depuis 2011 sous le coup d’un embargo de l’ONU sur les armes et matériels assimilés, et l’Armée nationale libyenne n’est pas reconnue par la communauté internationale.

Pour les enquêteurs, ces faits pourraient relever de l’ «association de malfaiteurs en vue de commettre des tortures ou des actes de barbarie».

Mais pour l’instant, selon une source proche du dossier, le parquet national antiterroriste (Pnat), compétent en matière de crimes contre l’humanité, n’a pas élargi l’information judiciaire à ces faits. Il a expliqué à l’AFP qu’il se positionnerait «par rapport à ces infractions au regard des investigations qui sont en cours».

Dans un communiqué, Nexa Technologies a démenti avoir «contracté, de quelque façon que ce soit, avec la Libye». Elle a expliqué que c’était Advanced Systems, «société sœur de Nexa Technologies de droit émirati», qui avait signé en septembre 2020 «un contrat d’intermédiation avec plusieurs fabricants européens – sous condition suspensive de l’obtention de toutes les autorisations d’exportation (européennes, américaines et émiraties) – et avec une autre société émiratie pour le ministère des télécommunications et de l’information de l’Est de la Libye».

Un contrat dont la «finalité était l’antiterrorisme et la lutte contre la criminalité organisée, dans le strict respect des droits de l’Homme», a-t-elle précisé. Mais «les autorisations d’exportation n’ayant pas été délivrées, ce contrat n’a pas pris effet» et l’acompte a été retourné au client, a indiqué Nexa, assurant que «l’ensemble des documents confirmant ces éléments» seraient communiqués à la justice.

Mise à jour le 28 novembre 2021 à 16h30 : ajout des informations de l’AFP sur le contrat libyen