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Le Libé des historiens

Election en RDC : la candidature de Denis Mukwege donne des espoirs aux Congolaises

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Le prix Nobel de la Paix 2018 a annoncé lundi être candidat à la présidentielle congolaise qui se tiendra le 20 décembre prochain. Une annonce surprise pour ce gynécologue, mondialement reconnu pour son combat contre les violences sexuelles faites aux femmes.
Le docteur Denis Mukwege après l'annonce de sa candidature à la présidentielle, lundi à Kinshasa. (Justin Makangara/REUTERS)
par Pascale Barthélémy, historienne, maîtresse de conférences à l’Ecole normale supérieure de Lyon
publié le 4 octobre 2023 à 19h59

A l’occasion des «Rendez-vous de l’histoire», qui se tiennent à Blois du 4 au 8 octobre, la rédaction de Libération invite une trentaine d’historiens et historiennes pour porter un autre regard sur l’actualité. Retrouvez ce numéro spécial en kiosque jeudi 5 octobre et tous les articles de cette édition dans ce dossier.

Les résultats des élections présidentielles en Afrique créent rarement la surprise. Il n’en va pas de même des campagnes électorales, moments forts de tensions, voire de violences, entre présidents sortants peu enclins à céder leur pouvoir, et opposants souvent nombreux qui peinent à s’unir. Il est rare que dans ces moments forts de la vie politique africaine les violences faites aux femmes aient droit de cité. En ce sens, la candidature du docteur Denis Mukwege, gynécologue mondialement connu, récompensé par le prix Nobel de la paix en 2018, lundi 2 octobre, crée la surprise. Cet homme de 68 ans, qui a fait de la lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes – et plus précisément contre les viols de guerre – le combat d’une vie, a-t-il des chances de l’emporter face au président sortant, Félix Tshisekedi, au pouvoir depuis 2019 et candidat à sa réélection ? «J’y vais maintenant», a-t-il annoncé, après avoir recueilli les 100 000 dollars nécessaires au dépôt de sa candidature pour le scrutin qui doit avoir lieu le 20 décembre. Il a également annoncé son retrait temporaire de la direction et de la gouvernance de la Fondation Panzi.

La faveur d’intellectuels

Cette décision d’un homme sans ancrage politique partisan a été particulièrement applaudie 2 000 km à l’est de la capitale, dans la ville de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, où Denis Mukwege soigne depuis 1999, dans la clinique de Panzi qu’il a fondée dans un quartier périphérique de la ville, des patientes victimes de violences sexuelles. Bien qu’il ait la faveur de nombreux intellectuels, au Congo et à l’étranger, ainsi que l’appui de certaines figures des mouvements citoyens (comme le mouvement Lucha, fondé en 2012 à Goma, pour lutter pour la paix et la bonne gouvernance), il a aussi de nombreux ennemis : sa clinique est placée sous la protection des Nations unies. Certains critiquent aussi la focalisation sur les viols de guerre au Kivu au détriment de la prise en charge d’autres types de violences sexuelles commises par des civils au quotidien (1).

«L’homme qui répare les femmes»

En 2018, Julienne Lusenge, présidente de Solidarité des femmes pour la paix et le développement intégral et lauréate du Prix des droits de l’homme des Nations unies en juillet 2023, appelait la communauté internationale à des actions concrètes pour mettre fin aux violences faites aux femmes. Les Congolaises, dont la participation à la vie politique est entravée par de nombreux obstacles, soutiendront-elles «l’homme qui répare les femmes», titre du documentaire que lui a consacré en 2015 le journaliste belge Thierry Michel ?

D’après l’agence ONU Femmes, la participation politique des femmes en RDC est passée de 13,6% aux élections de 2006 à 11,7% en 2018. La dernière réforme de la loi électorale, promulguée le 29 juin 2022, qui prévoit des clauses incitatives à l’inclusion des femmes sur les listes électorales aura-t-elle des effets sur un scrutin qui sera à la fois présidentiel, législatif et provincial ? La candidature de Denis Mukwege, symboliquement forte, bousculera-t-elle un paysage politique monopolisé par les hommes ?

(1) «Que celles qui ont été violées lèvent la main» de Marion Quillard, dans la Revue XXI, juillet-août-septembre 2015.