Dans une Guinée en en pleine crise politique, la mise en place d’un numéro vert pour signaler les abus commis par les forces de l’ordre détonne. La junte militaire, au pouvoir depuis le 5 septembre, jour du coup d’Etat contre le président Alpha Condé, tente de montrer patte blanche à la communauté internationale, inquiète de l’avenir de la Guinée après un putsch similaire au Mali voisin il y a un an. Face aux appels de l’ONU pour un retour des civils au pouvoir dans un délai «raisonnable», les militaires entament ce mardi quatre jours de consultation pour définir la feuille de route d’une transition dont la durée n’a pas été précisée et préparer la formation d’un gouvernement. Au programme, une série de rencontres sous le signe de l’«inclusion» avec les chefs des partis et des confessions religieuses, des acteurs de la société civile, des diplomates, des chefs d’entreprise de compagnies minières ou encore des syndicats.
Gestes d’apaisement
Le temps presse. Ce nouveau coup de force plonge l’un des pays les plus pauvres du monde dans l’incertitude et suscite les interrogations de ses partenaires. Quelques jours après le putsch, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union africaine ont suspendu le pays de toutes leurs instances. Le Mali avait subi le même sort après le coup d’Etat du 24 mai contre le président de transition Bah N’Daw, le second en seulement neuf mois. Face à la menace de sanctions, le Comité national pour le redressement et le développement (CNRD) se veut rassurant. Et multiplie les gestes d’apaisement : libération de plusieurs dizaines de «détenus politiques» du régime d’Alpha Condé, nomination d’une femme – la générale M’Mahawa Sylla – à la tête du gouvernorat de Conakry, démantèlement des barrages dans des quartiers favorables à l’opposition ou encore réouverture à partir de mercredi des frontières terrestres avec les pays voisins (Liberia, Côte d’Ivoire, Mali, Guinée-Bissau, Sénégal).
Dans un discours prononcé au lendemain du putsch, le nouvel homme fort de la Guinée, le colonel Mamady Doumbouya, avait assuré que les militaires ne feraient pas de «chasse aux sorcières», assurant vouloir rendre «la politique au peuple» et mettre fin à la corruption endémique. Une manière aussi de faire oublier la brutalité du putsch : une vingtaine de gardes présidentiels auraient été tués dans l’affrontement au palais de Sékhoutouréya. Depuis, le calme est revenu dans les rues de Conakry, où rares sont ceux qui semblent regretter l’ancien président, réélu en octobre pour un troisième mandat controversé. Plusieurs manifestations ont eu lieu dans la capitale pour célébrer la chute d’un chef d’Etat obstiné à se maintenir à la tête du pays et accusé de dérive autoritaire.
Alpha Condé «va bien»
La junte au pouvoir a également permis à la mission diplomatique de la Cédéao, en visite en Guinée vendredi, de rencontrer l’ex-chef de l’Etat. «Nous avons vu le président, il va bien», a déclaré le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry. «Nous avons eu des échanges très positifs» avec les militaires, a assuré le président de la Commission de la Cédéao, Jean-Claude Kassi Brou. Plus tôt, les Etats membres de l’organisation ouest-africaine avaient «exigé le respect de l’intégrité physique du président Alpha Condé» et demandé sa «libération immédiate».
L’avenir du président déchu de 83 ans est désormais au cœur des tractations. Toujours détenu par les putschistes, Alpha Condé, qui était apparu sonné sur une vidéo après le coup de force, refuse de signer sa démission. Des experts de l’International Crisis Group n’excluent pas un «contre-coup d’Etat» : «Les forces de sécurité sont factionnalisées et difficiles à gouverner. Doumbouya reste un outsider dans le jeu politico-militaire guinéen, jeune, peu connu et rentré tardivement au pays après un parcours dans l’armée française», écrivent-ils. Contrairement à la transition militaire de 2009-2010, la population guinéenne espère qu’elle échappera cette fois à la brutalité des forces de l’ordre.