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Libération
Esclavage moderne

En Sierra Leone, sur la route de la traite des femmes

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Dans le deuxième pays le plus pauvre du monde, des milliers de Sierra-Léonaises se font piéger par un vaste système d’exploitation, la kafala. Dupées par des promesses de jours meilleurs, elles sont vendues comme esclaves au Moyen-Orient et peinent à revenir.
Lucy Turay (à droite) et sa petite sœur, en décembre, dans le nord de la Sierra Leone. (Aline Deschamps/Libération)
par Matteo Maillard, envoyé spécial en Sierra Leone
publié le 13 juin 2024 à 17h16

Il devait être 10 heures, peut-être 11 heures, Mariam Bondo n’en est plus très sûre. Ce dont elle se souvient, c’est qu’elle était à son poste, derrière la réception décrépie de l’hôtel Moriya, où elle travaillait comme manageuse. La saison avait été rude. Le virus Ebola avait ravagé tout le district de Kambia, dans le nord de la Sierra Leone, laissant des milliers de cadavres. Les touristes avaient fui et l’hôtel de province s’était changé en hôpital de campagne dans lequel résonnaient les râles des malades. Alors, quand Aboubacar Cissé a ouvert la porte de la réception cette matinée, elle a cru voir un «héros» venu à sa rescousse.

«Comme ça, tu veux partir ? lui demande-t-il. Je connais un hôtel en Australie qui recrute des managers. C’est bien payé. Cinq fois ton salaire. Tu auras de l’argent pour aider ta famille et du temps pour toi. Je vais tout arranger, ne t’inquiète pas. Il me faut juste ton passeport et 300 dollars.» L’offre est alléchante, l’homme digne de confiance. Un ami d’enfance venu de Freetown, la capitale, sur recommandation de sa sœur. Il ne lui en fallait pas plus pour faire ses valises. «J’étais si heureuse ce jour-là que je n’ai pas réagi lorsqu’il m’a demandé de ne surtout en parler à personne», se souvient Mariam Bondo, assise aujourd’hui derrière cette même réception, accablée d’un souvenir