Les Nations unies vont-elles enfin permettre l’envoi d’une force multinationale pour tenter de mettre de l’ordre dans le chaos haïtien ? Dix mois après les déclarations du secrétaire général Antonio Guterres favorables à un tel engagement, un scénario se dessine, mais seul le vote d’une résolution par le Conseil de sécurité de l’ONU peut le transformer en réalité.
Samedi 29 juillet, c’est le Kenya qui a donné un coup de pouce au dossier en se disant prêt à envoyer dans les Caraïbes un millier de policiers pour épauler des forces de l’ordre locales débordées par la toute-puissance des gangs criminels. Les Bahamas et le Canada ont apporté leur soutien à l’initiative africaine, et lundi 31 juillet, les Etats-Unis ont assuré vouloir déposer devant le Conseil de sécurité de l’ONU une résolution autorisant une force de police multinationale dirigée par le Kenya. Le dépôt de cette résolution, présentée conjointement avec l’Equateur, aura lieu «dans un proche avenir», a ajouté le porte-parole. La présence de l’Equateur peut surprendre, le pays étant en proie à une crise sécuritaire majeure provoquée par l’offensive des cartels de la drogue. Une situation que certains qualifient de «spirale haïtienne».
«Nous sommes résolus à trouver les ressources pour soutenir cette force multinationale», a déclaré à la presse le porte-parole du département d’Etat, Matthew Miller, ajoutant qu’il était «trop tôt» pour donner des précisions sur la nature de l’aide américaine, financière ou matérielle, ni sur quels autres pays pourraient y contribuer.
Deux ans après l’assassinat de Jovenel Moïse
Le Kenya s’est dit prêt à déployer 1 000 policiers «pour aider à former et aider la police haïtienne à rétablir la normalité dans le pays et à protéger les installations stratégiques». Le ministre des Affaires étrangères kenyan, Alfred N. Mutua, a précisé que son pays répondait ainsi à la demande des Amis d’Haïti à l’ONU, un groupe de travail réunissant une dizaine de pays dont les Etats-Unis, le Canada et la France. Le Kenya doit envoyer sur place une mission d’évaluation dans les prochains jours afin de jauger des conditions de déploiement d’une telle force. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken s’est entretenu samedi avec le président kenyan William Ruto, et un haut responsable du département d’Etat était à Nairobi la semaine dernière pour finaliser les détails.
Cette force internationale est demandée de longue date par le Premier ministre haïtien Ariel Henry. L’homme qui fait office de président par intérim depuis l’assassinat de Jovenel Moïse, en juillet 2021, avait lancé début octobre un dramatique SOS à la communauté internationale. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’était dit favorable à une force internationale. Depuis, la situation a encore empiré dans le pays le plus pauvre des Amériques. Les gangs contrôlent environ 80 % de Port-au-Prince, la capitale, les crimes violents tels que les viols, les enlèvements contre rançon, les vols à main armée et les détournements de voitures sont quotidiens. Les groupes criminels contrôlent en outre les accès à la seule raffinerie de pétrole d’Haïti, ce qui les rend maîtres des ressources en carburant.
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Jusqu’à présent, aucun pays n’avait manifesté d’intérêt à s’engager en Haïti, où la présence de forces mandatées par l’ONU a été fréquente lors des trois dernières décennies. Ces interventions étaient motivées par le retour à l’ordre après un coup d’Etat (1993-1996), ou pour stabiliser le pays après des périodes d’instabilité. Le quartier général de la Minustah, mission commandée par le Brésil à partir de 2004, avait été détruit lors du séisme de 2010. La présence de soldats étrangers a été souvent ressentie par la population comme une invasion, un sentiment aggravé par la révélation de scandales impliquant des Casques bleus : déclenchement d’une épidémie de choléra en 2010, qui fit 10 000 morts, exploitation sexuelle d’enfants…
Le risque de s’enliser dans un bourbier
Ce passé explique la réticence des gouvernements étrangers à s’engager, en raison du risque de s’enliser dans un bourbier. Le Canada, pressé par les Etats-Unis de diriger une force d’interposition, a refusé de le faire à plusieurs reprises. La décision du Kenya, même fortement suscitée par Washington, apparaît dans ce contexte comme une avancée importante, bien vue par le pays lui-même. «Haïti apprécie à sa juste valeur cette manifestation de la solidarité africaine», a réagi dimanche le chef de la diplomatie haïtienne, Jean Victor Généus.
La tâche qui attend cette future force d’interposition est cependant titanesque. A la crise sécuritaire s’ajoutent les situations d’urgence sanitaire (avec un retour du choléra), alimentaire, humanitaire, économique et politique. Près de la moitié de la population haïtienne, soit 4,7 millions de personnes, est confrontée à «une faim aiguë», notait en octobre dernier le Programme alimentaire mondial. Aucune élection n’a eu lieu depuis 2016, et les différents pouvoirs qui n’ont pu être renouvelés sont en manque de légitimité, celui du Premier ministre Ariel Henry en tête. Mais les conditions pour organiser de nouveaux scrutins sont loin d’être réunies.
Les Nations unies sont désormais à la veille d’un retour à Haïti, quatre ans après avoir mis fin à leur dernière mission, la Minujusth, elle-même héritière de la Minustah qui, en treize ans (2004-2017), n’est pas parvenue à rétablir la stabilité et la paix malgré un investissement global évalué à 13 milliards de dollars.