Il s’est dit «heureux de retrouver la Côte d’Ivoire et l’Afrique» lors d’une courte intervention dans les anciens locaux de son parti où ses partisans, survoltés, l’attendaient à la nuit tombée. Dix ans après son arrestation, le 11 avril 2001, dans le bunker de la résidence présidentielle à Abidjan et son transfèrement au pénitencier de Scheveningen à La Haye, Laurent Gbagbo a retrouvé sa terre natale ce jeudi en fin d’après-midi. L’ancien président ivoirien a été définitivement acquitté le 30 mars par la Cour pénale internationale (CPI), au terme d’une procédure à rallonge, des charges de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011 qui pesaient contre lui. Depuis, ses proches l’attendaient avec une impatience fiévreuse, convaincus que son retour sera source de «réconciliation» dans un pays marqué par de profondes divisions politiques.
«Il y a un mot plus fort qu’heureuse ? Si vous l’avez, donnez-le moi parce que je suis plus qu’heureuse.» Aude, robe en pagne à l’effigie de son «guide» Laurent Gbagbo, a prié et jeûné toute la journée jusqu’à ce que l’avion se pose sur le tarmac de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny. Comme plusieurs centaines d’officiels et de privilégiés, elle a eu accès à l’enceinte du pavillon présidentiel mis à la disposition de l’ancien chef de l’Etat. Parmi eux, l’ex-première dame, Simone Gbagbo, son fils Michel Gbagbo récemment élu député, des chefs traditionnels et les caciques de sa formation politique, le Front populaire ivoirien (FPI), secouée ces dernières années par des tensions internes qui ont conduit à sa scission. Les proches du «woody» (le téméraire en langue bété), un de ses surnoms, se retrouvent désormais dans la branche FPI-GOR : «Gbagbo ou rien».
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Ses soutiens espéraient un accueil «visible» et «dans la joie», négocié depuis plusieurs mois «en partenariat» avec le gouvernement. La journée s’est révélée chaotique. Les manifestants qui souhaitent rallier l’aéroport ont été dispersés par du gaz lacrymogène, des grenades assourdissantes et des tirs de sommation. Les détonations n’ont pas cessé. Ces dispersions ont été condamnées par le FPI-GOR qui a annoncé une quarantaine d’interpellations et des blessés. «Nous faisons un appel patriotique et amical au gouvernement afin qu’ils arrêtent cette mauvaise manière de faire. Nous croyons toujours en la bonne foi du gouvernement», a lancé l’ancien ministre et porte-parole de Laurent Gbagbo, Justin Koné Katinan, quelques dizaines de minutes avant l’arrivée du «patron». Aucun représentant de l’exécutif n’a fait le déplacement, arguant que Laurent Gbagbo «est un citoyen comme un autre». «Un citoyen comme un autre» acclamé sur un partie du trajet jusqu’à l’ancien QG par des milliers de jeunes Ivoiriens surexcités, certains se couchant sur le bitume, d’autres s’accrochant aux voitures.
Condamnation par contumace
Ce retour ouvre la voie à de très nombreuses interrogations en Côte d’Ivoire où la dernière présidentielle, fin 2020, a vu Alassane Ouattara élu à un troisième mandat jugé inconstitutionnel par l’opposition qui a boycotté le scrutin et lors de laquelle plus d’une centaine d’Ivoiriens sont morts dans des violences selon un bilan officiel. Laurent Gbagbo va-t-il refaire de la politique, ou plutôt, de quelle manière ? Sera-t-il une autorité morale de la classe politique ou le leader combatif de l’opposition ? Certains de ses soutiens n’envisagent pas qu’il puisse renoncer à jouer un rôle actif, malgré des années de détention qui l’ont visiblement éprouvé. L’ancien président est par ailleurs toujours sous le coup d’une condamnation par contumace prononcée en 2018 dans son pays à 20 ans de prison dans l’affaire dite du «casse» de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’ouest (BCEAO). Va-t-il être amnistié par Alassane Ouattara avec qui l’affrontement dans les urnes a replongé le pays dans la guerre en 2010-2011 ?
Ses proches assurent que la question n’a pas été réglée avant son retour à Abidjan et ils estiment qu’une rencontre entre les deux hommes, qui ne se parlent pas directement, doit se faire à l’initiative du chef de l’Etat. En attendant, de nombreux Ivoiriens, dont certains ont en mémoire les atrocités commises pendant la crise post-électorale, se disent inquiets. Et si ce retour ravivait les tensions qui ne sont véritablement jamais éteintes ? Les différentes tendances politiques s’entendent au moins en façade sur une chose, la nécessité de faire avancer le processus de réconciliation. Reste à savoir quelle place Laurent Gbagbo y prendra.