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Sanctions

Groupe Wagner : huit mercenaires russes dans le viseur de l’Europe

Les Vingt-Sept ont inscrit huit membres du groupe paramilitaire russe sur la liste des sanctions européennes pour leur rôle présumé dans des exactions commises notamment en Syrie et en Centrafrique.
Survol des ruines de la ville antique de Palmyre, en Syrie, lors d'une visite de presse organisée par les forces armées russes, en septembre 2017. (Dominique Derda /AFP)
publié le 15 décembre 2021 à 19h52

On savait les Européens inquiets des agissements de la société militaire privée russe Wagner en Ukraine, en Libye, en Syrie ou en Centrafrique. Pour la première fois, lundi, ils ont répliqué en sanctionnant huit membres du groupe paramilitaire, ainsi que trois entreprises qui lui sont liées. La décision a été approuvée à l’unanimité par les ministres des Affaires étrangères de l’UE, réunis à Bruxelles. Concrètement, les sanctions consistent en une interdiction de visas pour les personnes concernées, ainsi qu’un gel de leurs avoirs dans l’Union européenne. Une mesure vraisemblablement peu contraignante – ou dommageable – pour les individus ciblés, et donc essentiellement symbolique. N’empêche, avec cette offensive diplomatico-financière, l’Europe ne se contente plus d’alerter sur «les actions de déstabilisation» de Wagner, mais montre qu’elle est prête à croiser le fer avec Moscou sur la question.

La Russie a réagi dès le lendemain en dénonçant «l’hystérie qui s’est propagée en Occident autour de ce thème», à travers un communiqué de son ministère des Affaires étrangères : «Elle témoigne avant tout de la jalousie de certaines anciennes métropoles européennes à l’égard des Etats d’Afrique et du Moyen-Orient» dont elles ont été «forcées de reconnaître en leur temps la souveraineté et l’indépendance». Une référence transparente à la France, que Wagner a progressivement supplantée en Centrafrique sur le plan sécuritaire. Plus encore, les rumeurs d’une arrivée de mercenaires russes sur le sol malien, cet été, avaient déclenché les foudres de Paris. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait qualifié les hommes de Wagner de «prédateurs» et prévenu que leurs éventuelles opérations au Mali seraient «incompatibles» avec une présence militaire française. Le sujet, brûlant, sera au menu des discussions de lundi, à Bamako, où Emmanuel Macon doit rencontrer pour la première fois le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta à l’été 2020.

Parmi les huit hommes de Wagner sanctionnés par l’UE figure en premier lieu Dimitri Outkine, le fondateur de cette «entité militaire privée dépourvue de la personnalité juridique basée en Russie». Cet ancien officier des services de renseignement militaire russes de 51 ans, dont le nom de guerre, Wagner, a donné lieu à l’appellation de la structure tout entière, en est le coordinateur opérationnel. «Dans l’exercice de sa fonction de commandement au sein du groupe Wagner, il est responsable de graves atteintes aux droits de l’homme commises par le groupe, dont des actes de torture ainsi que des exécutions et assassinats extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, indique sa fiche dans le Journal officiel de l’Union européenne. Cela inclut la torture jusqu’à la mort d’un déserteur syrien par quatre membres du groupe Wagner en juin 2017 dans le gouvernorat de Homs, en Syrie. Selon un ancien membre du groupe Wagner, Dimitri Outkine a personnellement ordonné que le déserteur soit torturé à mort et que l’acte soit filmé.»

Pour les mêmes faits de torture à Homs, Stanislav Evgenievitch Dychko, «ancien employé de la police de Stavropol» de 31 ans, l’a rejoint sur la liste des sanctions. Tout comme Andrey Nikolaevich Troshev, chef d’état-major de Wagner en Syrie, qui «a en particulier participé aux opérations dans la région de Deir ez-Zor» et Andrey Bogatov, «chef de la quatrième compagnie d’assaut et de reconnaissance du groupe», qui a lui «participé à la bataille de Palmyre».

Suspension des formations européennes

Plusieurs employés de Wagner sont également visés pour leur rôle dans des «atteintes aux droits de l’homme commises par le groupe en Centrafrique, dont des exécutions et assassinats extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires». C’est le cas de Valery Zakharov, ancien membre du FSB, devenu conseiller pour la sécurité auprès du président Faustin-Archange Touadéra. «Il est un personnage clé de la structure de commandement du groupe Wagner et entretient des liens étroits avec les autorités russes», pointent les Européens, qui rappellent que les trois journalistes russes assassinés en 2018 en Centrafrique alors qu’ils enquêtaient sur Wagner «relevaient de la responsabilité de Valery Sakharov».

Une note interne du Service européen pour l’action extérieure, diffusée mi-novembre, s’alarmait de l’emprise croissante de Moscou sur les institutions centrafricaines. «La Russie semble adopter une stratégie hybride complexe en Centrafrique, menant des campagnes de désinformation, s’engageant dans des activités économiques (exploitation de ressources minières, coopération en matière de douane et d’exploitation des ressources naturelles), agissant comme un fournisseur de sécurité par le biais de Wagner et renforçant son influence, détaille le document. Déployés dans le pays officiellement depuis 2018, les Russes ont progressivement intensifié leur présence dans presque tous les domaines du gouvernement. […] Bien qu’ayant eu un effet positif sur la sécurité pendant les premiers jours de son déploiement en décembre 2020-janvier 2021 [les Russes ont aidé le gouvernement à repousser une offensive des rebelles sur Bangui, ndlr], Wagner a immédiatement commencé à générer des effets secondaires négatifs. Notamment le harcèlement d’une partie de la population, principalement les communautés musulmanes-peules, les exécutions arbitraires, les viols et la torture, ainsi que la collecte de taxes illégales et la confiscation de biens.»

Dans le prolongement des sanctions, l’Union européenne a annoncé mercredi la suspension de sa mission de formation des Forces armées centrafricaines, en raison du «contrôle exercé par les mercenaires de la société Wagner» sur les troupes. Quelque 70 instructeurs européens sont rentrés temporairement dans leurs pays respectifs.

«Actions hostiles»

Les trois derniers noms placés sur la liste complètent le tableau des zones d’intervention de Wagner. A commencer par l’Ukraine, le premier théâtre – chronologiquement – des opérations du groupe de mercenaires. Sont ainsi ciblés Denis Kharitonov, le chef régional adjoint de la section d’Astrakhan de l’Union des volontaires du Donbass, qui «a combattu au Donbass dans le bataillon séparatiste Steppe, où il commandait un peloton d’un complexe de missiles antiaériens portables», et Sergey Shcherbakov, un «agent indépendant du renseignement militaire russe» qui a également combattu en Ukraine au côté des forces séparatistes pro-russes. Enfin, Aleksandr Sergeevich Kuznetsov, membre de «la structure de commandement du groupe Wagner», blessé en septembre 2019 en Libye alors qu’il combattait avec l’autoproclamée Armée de libération nationale libyenne du maréchal Haftar. Entre 1 000 et 3 000 mercenaires du groupe Wagner seraient toujours déployés aujourd’hui en Libye, son plus important déploiement de force.

Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a sans surprise «applaudi» les sanctions de l’Union européenne. «Ces actions soulignent notre engagement commun à répondre aux actions déstabilisatrices de cette organisation», a-t-il indiqué dans un communiqué. «Les entreprises militaires privées ne sont pas contrôlées par les autorités», a rétorqué le ministère russe des Affaires étrangères. Une ligne de défense régulièrement martelée, sans jamais convaincre. Les liens entre les dirigeants de Wagner et le Kremlin étant largement établis. «La Russie se réserve le droit de répondre aux actions hostiles de l’UE», a d’ailleurs menacé, en retour, la diplomatie russe.