Au moins neuf personnes ont été tuées après des tirs à l’arme automatique échangés lors de l’opération commando survenue le samedi 4 novembre à Conakry, la capitale de la Guinée, a déclaré le parquet général ce lundi 6 novembre. Aux premières heures, un groupe de militaires masqués avait attaqué la prison centrale pour en extraire provisoirement l’ex-dictateur Moussa Dadis Camara et trois co-détenus, tous les quatre actuellement jugés pour un massacre commis en 2009 sous sa présidence.
Trois assaillants présumés, quatre membres des forces de sécurité et deux occupants d’une ambulance, apparemment civils, figurent parmi les morts, selon un bilan encore provisoire annoncé par le parquet général. Un responsable de l’hôpital Ignace Deen a identifié l’un des civils tués dans le véhicule de soins comme une fillette de six ans, atteinte par le tir d’une arme automatique. Des poursuites pour homicide involontaire et assassinat de membres des forces de sécurité ont été lancées envers Moussa Dadis Camara et ses trois co-détenus, a avancé le parquet général.
Trois d’entre eux, dont Moussa Dadis Camara, ont été repris en bonne santé le jour même de l’opération commando, dont les circonstances demeurent troubles. Evasion ou enlèvement ? Les autorités privilégient le premier scénario. Le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, a quant à lui évoqué un enlèvement «difficile à expliquer» sur les ondes de Radio France Internationale. Lors de l’opération, les hommes armés, qui semblaient connaître les lieux, avaient déclaré «être venus libérer le capitaine Dadis Camara».
«Je continue de penser qu’il a été enlevé, avançait samedi l’avocat de l’ancien chef d’Etat. Il a confiance en la justice de son pays, c’est pourquoi il ne va jamais tenter de s’évader», avait-il précisé en référence au procès en cours au sujet du massacre perpétré en 2009 sous son mandat. Le quatrième homme, Claude Pivi, qui figure aussi parmi les principaux accusés du procès, est, lui, toujours en fuite.
Les services de sécurité en question
Le risque d’une nouvelle tentative de putsch écarté, la junte s’est interrogée sur l’efficacité et la cohésion des forces de sécurité à la suite de cette opération commando. 58 officiers, soldats et agents des services de prison ont ainsi été radiés pour «faute lourde» ou «manquement au service» par les autorités.
Le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, a reconnu que «le commando (avait) pu entrer (dans la prison) parce que des agents postés sur place les ont laissés entrer». Il a évoqué l’implication de Bérets rouges du Bataillon autonome des troupes aéroportées (Bata) – une unité d’élite de l’armée guinéenne – en faction, de membres de la Garde républicaine, de gendarmes et de gardiens.
Le fils de Claude Pivi, seul détenu toujours en fuite, ancien homme fort de la junte ayant dirigé la Guinée de 2008 à 2009 sous le capitaine Dadis Camara, a été présenté par les autorités comme la tête pensante de l’opération de samedi. L’avocat de la famille a démenti l’implication de cet ancien militaire radié. Soutenant également la théorie de l’enlèvement, il a affirmé avoir échangé à deux reprises avec Claude Pivi par téléphone avant de perdre le contact, et l’avoir trouvé «apeuré».
Le procès compromis ?
Depuis septembre 2022, Moussa Dadis Camara et dix responsables militaires et gouvernementaux répondent devant un tribunal d’une litanie de meurtres, actes de torture, viols et autres enlèvements commis le 28 septembre 2009, et les jours suivants, par les forces de sécurité dans un stade de la banlieue de Conakry. Parmi les dizaines de milliers de sympathisants de l’opposition qui y étaient réunis, au moins 156 personnes ont été tuées et des centaines blessées, et au moins 109 femmes violées, selon le rapport d’une commission d’enquête mandatée par l’ONU.
Décryptage
Ce procès s’est ouvert alors que le colonel Doumbouya, investi lors d’un putsch en 2021, a promis après son coup de force de refonder l’Etat guinéen et de faire de la justice sa «boussole» ; quand les Forces vives de Guinée, un collectif de partis et d’organisations d’opposition, dénoncent de leur côté une «dictature naissante». L’opération commando de samedi a fait craindre pour la poursuite de ce procès historique, attendu par les victimes pendant des années et suivi avidement par les Guinéens depuis son ouverture. Le ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright, a assuré que «le procès se déroulera normalement». Censé reprendre ce lundi, il a été ajourné en raison d’une grève du barreau, sans lien avec les événements récents.
Mise à jour le 6 novembre 2023 à 17h30, avec les radiations opérées dans les services de sécurité et de prison.