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Guinée : les forces spéciales affirment avoir capturé le président Alpha Condé, la Défense dit les avoir repoussées

Des tirs d’armes automatiques ont retenti ce dimanche à Conakry dans le quartier où siègent la présidence et les bureaux d’affaires. Dans la confusion générale, plusieurs voix évoquent une tentative de coup d’Etat militaire, le président aurait même été arrêté.
Des membres des Forces armées guinéennes traversent le quartier de Kaloum à Conakry ce dimanche, après que des coups de feu ont été entendus. (CELLOU BINANI/AFP)
publié le 5 septembre 2021 à 13h40
(mis à jour le 5 septembre 2021 à 15h54)

Des tirs d’armes automatiques et des soldats dans les rues. Ce dimanche, le centre de Conakry, la capitale de la Guinée, est le théâtre de tensions. Des habitants joints au téléphone à Kaloum ont fait état de tirs soutenus. S’exprimant sous le couvert de l’anonymat pour leur sécurité, ils ont dit avoir vu de nombreux soldats intimant aux résidents de rentrer chez eux et de ne pas en sortir. Désormais, plusieurs sources évoquent une tentative de coup d’Etat militaire et les putschistes affirment même avoir «pris» le président Alpha Condé et «dissous» les institutions.

Les putschistes ont diffusé une vidéo du président Condé entre leurs mains. Le correspondant de l’AFP a confirmé la provenance de ces images auprès d’eux. Ils lui demandent s’il a été maltraité, et Alpha Condé, en jeans et chemise dans un canapé, refuse de leur répondre.

«Nous avons décidé, après avoir pris le président qui est actuellement avec nous […], de dissoudre la Constitution en vigueur, de dissoudre les institutions ; nous avons décidé aussi de dissoudre le gouvernement et la fermeture des frontières terrestres et aériennes», a dit un des putschistes en uniforme et en armes dans cette déclaration qui a abondamment circulé sur les réseaux sociaux mais qui n’a pas été diffusée à la télévision nationale.

Le ministère de la Défense, dans le même temps, a toutefois affirmé avoir repoussé leur attaque contre la présidence. Dans un communiqué, il a affirmé que «les insurgés [ont] semé la peur» à Conakry avant de prendre la direction du palais présidentiel, mais que «la garde présidentielle, appuyée par les forces de défense et de sécurité, loyalistes et républicaines, ont contenu la menace et repoussé le groupe d’assaillants».

Dernier rebondissement de l’après-midi, un responsable marocain a confirmé que la sélection de football du Maroc, présente dans la capitale où elle devait affronter l’équipe guinéenne lundi en qualifications pour le Mondial-2022, était « en sécurité ».

Si, dans un premier temps, aucune explication n’était disponible sur les raisons de ces tensions sur la presqu’île de Kaloum, centre de Conakry où siègent la présidence, les institutions et les bureaux d’affaires, désormais plusieurs voix parlent d’un possible coup d’Etat militaire. Ainsi, un diplomate occidental a dit à l’AFP n’avoir «aucun doute» sur le fait qu’une tentative de coup d’Etat était en cours, conduite par les Forces spéciales guinéennes. D’après lui, cette unité d’élite a pris au moins temporairement le palais présidentiel. Selon les informations de Jeune Afrique également, il s’agirait d’une tentative de coup d’Etat par des membres du Groupement des forces spéciales (GPS), «une unité d’élite de l’armée aussi bien entraînée qu’équipée». Le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, ancien légionnaire de l’armée française, serait à la tête du putsch.

Dérive autoritaire

L’accès à la presqu’île de Kaloum est restreint du fait de sa géographie. Les forces de sécurité peuvent aisément la bloquer. Depuis des mois, ce pays d’Afrique de l’Ouest parmi les plus pauvres du monde malgré des ressources minières et hydrologiques considérables est en proie à de profondes crises politique et économique, aggravées par la pandémie de Covid-19.

La candidature du président Alpha Condé à un troisième mandat a provoqué, avant et après le scrutin du 18 octobre, des mois de tensions qui ont causé des dizaines de morts dans un pays coutumier des confrontations politiques sanglantes. L’élection a été précédée et suivie par l’arrestation de dizaines d’opposants.

Alpha Condé, 83 ans, a été définitivement proclamé président pour un troisième mandat le 7 novembre, malgré les recours de son principal challenger, Cellou Dalein Diallo, et de trois autres candidats qui dénonçaient des «bourrages d’urnes» et des irrégularités de toutes sortes. Des défenseurs des droits humains fustigent une dérive autoritaire observée au cours des dernières années de la présidence Condé et remettant en cause les acquis de son début.

Alpha Condé, ancien opposant historique emprisonné et même condamné à mort, était devenu en 2010 le premier président démocratiquement élu après des décennies de régimes autoritaires. Les militaires s’étaient emparés du pouvoir par la force en 2008 après la mort du président Lansana Conté.

Alpha Condé a rejoint, aux yeux de ses adversaires et de maints défenseurs de la démocratie, les rangs des dirigeants africains se maintenant au pouvoir au-delà du terme prévu, de plus en plus souvent en usant d’arguments légaux.

Alpha Condé, président à vie ?

En mars 2020, il a fait adopter, malgré une contestation déjà vive, une nouvelle Constitution pour, disait-il, «moderniser [les] institutions» et, par exemple, accorder une plus grande place aux femmes et aux jeunes. L’opposition dénonçait un «coup d’Etat» constitutionnel. La contestation a été à plusieurs reprises durement réprimée. Alpha Condé se targue d’avoir fait avancer les droits humains et d’avoir redressé un pays qu’il dit avoir trouvé en ruines. Il se défendait, en octobre sur Radio France internationale et France 24, de vouloir instaurer une «présidence à vie». La nouvelle Constitution lui permet théoriquement de se représenter dans six ans, une éventualité sur laquelle il s’est gardé de se prononcer.