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Racines

«Je suis fier aussi d’être africain» : un député guadeloupéen acquiert la citoyenneté béninoise pour dénoncer la xénophobie en France

Grâce à des tests génétiques et des recherches généalogiques, Olivier Serva a découvert que ses ancêtres étaient originaires du Bénin. Depuis 2024, ce pays permet à tous les descendants d’esclaves d’acquérir la nationalité béninoise.

Le député Olivier Serva, 51 ans, à l'Assemblée, le 21 mai 2025. (Thibaud Moritz/AFP)
Publié le 23/09/2025 à 13h58

Pour dénoncer la montée d’un climat xénophobe en France, le député Liot de Guadeloupe Olivier Serva a décidé de devenir binational. Il a récemment acquis la citoyenneté béninoise profitant d’une loi votée dans ce pays d’Afrique de l’Ouest pour les descendants d’esclaves.

Depuis 2024, le Bénin permet à toute personne ayant un ancêtre africain déporté durant la traite transatlantique la possibilité d’acquérir la nationalité de ce pays dont les côtes furent l’une des plaques tournantes du commerce triangulaire organisé par les puissances européennes. Plusieurs afro-descendants ont déjà pu bénéficier de cette loi, dont des célébrités, comme la chanteuse américaine de R’n’b Ciara.

Emotion du député à Cotonou

A 51 ans, Olivier Serva a également souhaité acquérir la nationalité béninoise, après avoir foulé pour la première fois le sol d’Afrique sub-saharienne en janvier dernier, comme il l’explique à l’AFP. Il atterrit au Bénin, qui recouvre une partie de l’ancien plateau du Dahomey d’où une partie de ses ancêtres sont originaires : son ascendance a pu être établie grâce à des tests génétiques et des recherches généalogiques. Sur place, l’élu s’émerveille de découvrir un «pays en chantier avec un potentiel incroyable», où persiste certes de la pauvreté mais résolument «tourné vers l’avenir».

Face au palais présidentiel à Cotonou, où trône désormais une statue en bronze de plus de trente mètres représentant une amazone, ces femmes guerrières qui ont combattu les troupes coloniales françaises au XIXe siècle, le député dit avoir été profondément ému.

«Porte du Non-Retour»

Mais bien plus encore, lorsqu’il parcourt la «route des esclaves» à Ouidah, jusqu’à la Porte du Non-Retour, face à l’Atlantique. Sur ces quatre kilomètres, plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants furent conduits, souvent pieds nus et enchaînés, vers les bateaux négriers qui les emportaient dans un exil sans retour. «Penser que vos aïeux sont passés par là, j’en suis sorti bouleversé».

De retour en France, le député qui siège à l’Assemblée depuis 2017 d’abord sur les bancs macronistes puis sur ceux du groupe Liot (Libertés, indépendants, Outre-mer et Territoires), se heurte à la montée d’un climat xénophobe. «Français de papiers», «mexicanisation» de la France, «submersion migratoire»… Olivier Serva dresse la longue liste «des mots ou propos racistes qui ne disent pas leurs noms», tenus notamment, accuse-t-il, par le ministre de l’Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau.

«La France doute, et il faut trouver un bouc émissaire. L’étranger est tout trouvé, tout désigné», regrette l’élu qui fut notamment co-rapporteur de la loi immigration sur le volet ultra-marin. Pour certains, «les supposés maux de la France viendraient des Africains, ce que je trouve tout à fait injuste lorsque l’on se penche sur notre histoire», explique Olivier Serva qui a co-fondé un petit parti centriste Utiles, émanation du groupe Liot. «En tant que député français, je veux affirmer avec fierté à mes homologues députés d’abord, mais à la France en général, que je suis fier aussi d’être africain». C’est l’une des raisons pour lesquelles «j’ai décidé de demander la nationalité», obtenue le 21 mai par décret signé de la main du président béninois Patrice Talon.

Spike Lee, ambassadeur

Depuis sa première élection en 2016, Patrice Talon a fait du tourisme mémoriel et du renforcement des liens avec la diaspora africaine et des afro-descendants l’un des leviers de sa politique économique, à l’instar du Ghana, son voisin anglophone. Il a ainsi nommé en juillet le réalisateur américain Spike Lee et sa femme, la productrice et avocate Tonya Lewis Lee, «ambassadeurs thématiques de la République du Bénin auprès de la diaspora afro-descendante des Etats-Unis d’Amérique».

La modernisation du Bénin s’est aussi accompagnée d’un virage autoritaire, ses principaux opposants sont désormais en exil ou en prison. Interrogé sur ce recul démocratique, Olivier Serva répond : «Ce n’est pas ce que j’ai vu […] J’ai plutôt vu un Président Patrice Talon qui a fait deux mandats, qui ne se représente pas en 2026 et ne s’accroche pas au pouvoir». Un proche de Patrice Talon, son ministre de l’Economie Romuald Wadagni, sera alors le candidat de la coalition au pouvoir pour la présidentielle.