Un vote du parlement kényan jeudi ouvre la voie au déploiement d’un millier de policiers de ce pays en Haïti, dans le cadre d’une mission multinationale soutenue par l’ONU. Mais l’opération ne fait pas l’unanimité à Nairobi. Un élu qui la juge contraire à la Constitution a saisi la Haute Cour, qui a commencé l’examen du recours. Pendant ce temps, la violence ne faiblit pas dans le petit Etat insulaire, où des groupes criminels contrôlent 80 % de la capitale, Port-au-Prince. Jeudi, un hôpital a dû être entièrement évacué pour mettre à l’abri malades et personnel soignant, en première ligne des règlements de comptes entre gangs.
«Pour les gangs haïtiens, tuer, c’est savourer sa boisson préférée»
Nairobi a promis l’envoi d’un millier de membres de forces de l’ordre dans le cadre d’une mission que doivent rejoindre d’autres pays. La Barbade et la Jamaïque se sont portées volontaires, mais ni la composition de la force, ni la date de son entrée en action ne sont finalisées. Le Kenya a déjà participé à des opérations de maintien de la paix (RDC, Somalie, Liberia, ex-Yougoslavie…), mais l’opinion s’inquiète d’une intervention dans un contexte hautement instable et dangereux, qui risque de se transformer en bourbier. L’opposant à l’origine du recours, Ekuru Aukot, du petit parti Thirdway Alliance, a affirmé sur Twitter (désormais nommé X) que «ce déploiement est une mission suicide pour nos 1000 policiers». Pour les gangs haïtiens, croit-il savoir, «tuer est comme savourer sa boisson préférée».
I pray no one comes back inside a body bag, but Kenyans need to know that those killer squads in Haiti have a date with death, and killing for them is like just enjoying your favourite drink https://t.co/huoFZQlA0W
— Dr. Ekuru Aukot (@EAukot) November 16, 2023
Des ONG de défense des droits humains soulignent en outre que la police kényane a l’habitude d’employer la force létale contre des civils, et rappellent que de précédentes interventions étrangères en Haïti ont été marquées par des violations des droits humains. La mauvaise image laissée dans la population haïtienne par les forces multinationales (viols, prostitution de mineurs, propagation du choléra…) explique que l’ONU refuse d’engager des Casques bleus, et préfère soutenir des initiatives sous le drapeau de pays souverains.
Selon la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU adoptée en octobre par 13 voix pour et 2 abstentions (Chine et Russie), cette «mission multinationale de soutien à la sécurité», non onusienne, est créée pour «une période initiale de douze mois», avec une réévaluation au bout de neuf mois. Son budget est évalué par les Kenyans à 600 millions de dollars et serait versé par les Etats membres de l’ONU. Le président William Ruto est un fervent partisan de l’intervention, qu’il décrit comme une «mission pour l’humanité» dans un pays ravagé, selon lui, par le colonialisme.
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Affrontements après la mort d’un chef de gang
A Port-au-Prince, un hôpital de Cité Soleil, le plus grand bidonville de la capitale, a été entièrement évacué mercredi après de violents affrontements entre gangs dans son environnement immédiat. «La guerre se tient aux alentours de l’hôpital. On a eu des maisons avoisinantes brûlées», a témoigné auprès de l’AFP Jose Ulysse, le fondateur et directeur du Centre hospitalier de Fontaine. Cité Soleil est en proie à des affrontements armés depuis lundi, après la mort d’un chef de gang présumé.
L’unité d’élite de la police nationale a aidé au transport des «personnes qui ne pouvaient pas bouger de leur propre chef, parmi lesquelles des femmes qui ont subi une césarienne», a ajouté le directeur. Outre de nombreux patients qui ont fui les lieux d’eux-mêmes, environ «70 adultes» et une «quarantaine d’enfants», dont plusieurs nouveau-nés, ont été transférés par la police et des ambulances vers «une structure privée», d’après Jose Ulysse.
Confrontés au chaos sécuritaire, de nombreux habitants tentent de fuir le pays pour gagner les Etats-Unis ou le Canada, où réside une importante diaspora haïtienne. L’une des filières d’immigration passe le Nicaragua, pays qui ne demande pas de visa d’entrée aux visiteurs étrangers. Depuis le mois d’août, des centaines de vols charters ont été affrétés entre Port-au-Prince et Managua, dans une totale anarchie. Les autorités ont suspendu ces lignes le 30 octobre, le temps de clarifier la situation.
Reportage