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Dette

L’Ethiopie placée en défaut de paiement

Le deuxième pays le plus peuplé du continent, longtemps présenté comme un modèle pour son dynamisme économique, n’a pas honoré le remboursement d’une partie de sa dette en décembre.
Le ministre des Finances éthiopien, Ahmed Shide, à Addis-Abeba, le 6 juillet 2023. (Michael Tewelde/Xinhua. AFP)
publié le 29 décembre 2023 à 18h54

L’Ethiopie a les poches vides. Le pays a été décrété en «défaut partiel» de paiement par l’agence de notation Fitch mercredi, après qu’Addis-Abeba a échoué à honorer le remboursement de 33 millions de dollars d’intérêts sur sa dette. Un montant qui peut sembler dérisoire au regard du budget de l’Etat éthiopien (près de 15 milliards de dollars) ou de son PIB (126 milliards) mais significatif d’une méfiance grandissante à l’égard de l’état de ses finances. La date de limite du remboursement de l’obligation en question était fixée au 11 décembre. Les autorités ont demandé un délai supplémentaire. Mais n’ont finalement pas payé à l’issue de cette période de grâce.

Allégement par la Chine

«La décision de l’Ethiopie de différer le paiement du coupon [les intérêts, ndlr] de décembre de son euro-obligation, malgré le montant abordable en jeu, découle de l’intention de traiter équitablement tous ses créanciers extérieurs», s’est défendu le ministre des Finances, Ahmed Shide. Le gouvernement négocie actuellement un plan d’aide avec le Fonds monétaire international, mais doit d’abord parvenir à un accord sur la restructuration de sa dette extérieure – d’environ 28 milliards de dollars – avec une majorité de ses créanciers. Il est déjà parvenu à un accord de suspension de dette avec la Chine, son principal bailleur, pour un montant de 1,5 milliard de dollars. Addis-Abeba cherche également à renégocier le remboursement d’1 milliard de dollars d’obligations souveraines, en proposant d’en différer la maturité (la date à laquelle la dette doit être remboursée) à 2032 au lieu de 2028, et d’en réduire les intérêts, qui passeraient de 6,6 à 5,5 %.

«Le défaut de l’Ethiopie […] devrait conduire les créanciers occidentaux à imiter la Chine, particulièrement proactive dans l’allègement du poids de la dette», avance The Africa Report. Selon le magazine anglophone, le dossier éthiopien serait «une priorité» pour Pékin. Les prêts chinois en Éthiopie s’élèvent à 14 milliards de dollars. Ils ont entre autres servi à financer des infrastructures de transport, l’achat d’avions, l’approvisionnement en eau et la mise à niveau du réseau électrique.

«Perte de confiance»

«Le faible ratio dette-PIB du pays [29 %] incite les économistes à prédire un accord rapide entre le gouvernement et ses créanciers, abonde l’analyste Michelle Gavin, dans une note publiée par le Council on Foreign Relations. Mais d’autres facteurs peuvent faire hésiter les optimistes quant à la trajectoire économique de l’Ethiopie. Les investisseurs étrangers s’interrogent notamment sur la cohérence de l’environnement réglementaire et sur l’engagement du gouvernement à permettre la concurrence.» Le scandale de l’agression et de la brève détention du directeur pays de la Banque africaine de développement (BAD), Abdul Kamara, le 31 octobre, quelques heures après une entrevue houleuse avec le ministre Ahmed Shide, au cours de laquelle le représentant de la BAD avait réclamé le paiement de la cotisation annuelle de l’Ethiopie (4,8 millions d’euros) à l’institution, a nourri les soupçons envers la fébrilité – et les méthodes – du Trésor éthiopien. Tous les employés expatriés de la BAD ont depuis quitté le pays.

«La perte de confiance dans le gouvernement éthiopien a été un thème récurrent de 2023, relève Michelle Gavin. Pendant une grande partie de l’année, l’aide du Programme alimentaire mondial et des Etats-Unis a été suspendue malgré les besoins considérables du pays [notamment dans la région du Tigré, ravagée par deux années de guerre, ndlr]. Les donateurs ont constaté que cette aide était systématiquement détournée et il a fallu des mois pour se mettre d’accord sur des réformes qui ont rétabli une confiance suffisante pour qu’elle reprenne, à titre de test pour le moment.» La coûteuse guerre du Tigré, les sécheresses à répétition et le coup porté à l’économie nationale par la pandémie du Covid-19 ont asséché les finances de l’Ethiopie, pays de 120 millions d’habitants qui fut longtemps présenté comme l’un des plus dynamiques du continent. Il est le troisième Etat africain à être placé en défaut de paiement ces dernières années, après le Ghana et la Zambie.