Audience après audience, le visage d’Al-Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mahmoud s’est effacé. Le Malien avait comparu pour la première fois devant la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, le 4 avril 2018. Le monde découvrait alors sa figure timide, son crâne rasé, sa barbichette soignée. Six ans plus tard, le visage vieilli du Touareg a presque disparu derrière son chèche blanc et ses lunettes. Ses yeux n’ont pas cillé lorsque les juges l’ont déclaré coupable, ce mercredi 26 juin, de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant l’occupation jihadiste de la ville de Tombouctou, dans le nord du Mali, entre avril 2012 et janvier 2013. Coupable de «tortures», de «traitements cruels», d’«atteinte à la dignité des personnes», de «persécutions pour des motifs religieux» et de «mutilations».
Jusqu’alors, la CPI n’avait jugé que des «crimes de pierre» à Tombouctou – la démolition des mausolées de «la ville des 333 saints» classés au patrimoine mondial de l’humanité : pour ces destructions, le jihadiste malien Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi avait été condamné en 2016 à neuf ans de prison. Al-Hassan, lui, est reconnu coupable de crimes de chair. Celle des habitants de Tombouctou, soumis à son contrôle strict. Le Touareg était connu comme le «commissaire» de la police islamique mise en place par l’organisation Ansar ed-Dine, dirigée par Iyad Ag-Ghaly, après que l’armée malienne avait été chassée de la ville. A ce titre, il était en charge de la surveillance de la population, appliquant rigoureusement les nouvelles règles, inspirées par la charia, imposées aux Tombouctiens et Tombouctiennes.
Dans une interview réalisée dans son bureau du gouvernorat, le 7 novembre 2012, Al-Hassan explique lui-même que son rôle est de «corriger des actes inacceptables, comme boire de l’alcool, fumer, ou, pour les femmes, se parer ou s’embellir». Quelques minutes plus tard, sur la même bande vidéo produite au cours du procès, Al-Hassan rit avec ses interlocuteurs. «A Tombouctou, une seule main a été coupée, une seule personne a été exécutée», dit le commissaire. Le Touareg a le titre officiel d’adjoint du chef de la hisba, la police islamique. «C’est le pilier, celui qui est toujours là, quel que soit le chef de la police», a rappelé le substitut du procureur Gilles Dutertre dans son réquisitoire, le 23 mai. A Tombouctou, «il convoque, il patrouille, il arrête, il interroge».
190 jours d’audience
Le numéro 1 de la nébuleuse jihadiste sahélienne, l’Algérien Abdelmalek Droukdel, chef de Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), avait théorisé le recours à des islamistes locaux – mieux acceptés, pense-t-il – pour bâtir un émirat dans «l’Azawad», la partie septentrionale du Mali. Il est nécessaire de «gagner les cœurs et les esprits» de la population, écrit-il dans un document broché de 80 pages retrouvé à Tombouctou par Libération en 2013. De sorte qu’il convient prioritairement de donner mandat «pour ce qui concerne les affaires intérieures, à Ansar ed-Dine», une organisation jihadiste fondée par des Touaregs maliens. Al-Hassan est originaire de la région de Tombouctou. Iyad Ag-Ghaly, le chef d’Ansar ed-Dine, le recrute à la hisba. Il commence comme interprète avant de «prendre du galon», a retracé le juge président Antoine Kesia-Mbe Mindua mercredi, à la lecture du verdict. Jusqu’à occuper un «rôle directeur dans les opérations de police». Une quarantaine de membres de la hisba sont placés sous ses ordres.
Au fronton du bâtiment de la Banque malienne de solidarité de Tombouctou, dont les jihadistes ont fait leur quartier général, figurait le numéro de portable personnel d’Al-Hassan, comme invitation à la délation. «C’est clair, c’est sans complexe, relève Gilles Dutertre. Al-Hassan adhère clairement aux desseins d’Ansar ed-Dine et de Al-Qaeda au Maghreb islamique d’établir leur pouvoir et leur contrôle sur la population et en particulier sur les femmes.» S’il n’appartient pas aux hautes sphères du jihad sahélien, il n’est certainement pas le petit poisson, «la sardine plutôt que le dirigeant d’Ansar ed-Dine», que la défense a tenté de dépeindre. Le juge Antoine Kesia-Mbe Mindua a conclu qu’il était «un membre de haut rang de la police islamique», un «acteur clé» de l’occupation.
Une cinquantaine de victimes en ont témoigné lors d’un procès-fleuve, qui aura compté 190 journées d’audience. Les preuves matérielles de l’implication d’Al-Hassan sont nombreuses. Trente-neuf rapports de police, rédigés et signés de sa main, ont été retrouvés, certains portant la mention : «Interrogé et torturé, mais en vain.» Le commissaire islamique apparaît également dans plusieurs vidéos. Dans l’une d’elles, on le voit fouetter un jeune homme. Sur une autre tournée sur un marché, il ignore les appels à la clémence d’une femme à terre, en train d’être flagellée. Al-Hassan supervisait, arme en bandoulière, ces punitions publiques, infligées pour des adultères, la consommation d’alcool ou même une simple cigarette. Dans un dernier film, non diffusé à l’audience, le chef de la police assiste à une exécution.
Viols et mariages forcés
Al-Hassan, 46 ans, a en revanche été acquitté des accusations de «viols», de «mariages forcés» et «d’esclavage sexuel». Les femmes et les filles de Tombouctou ont été les premières victimes de l’occupation d’Ansar ed-Dine et Aqmi. «Pendant des mois, elles vont vivre dans un climat constant d’oppression, d’insécurité et de peur, a rappelé l’accusation. Elles sont harcelées au quotidien, elles sont traquées dans les rues, dans les écoles, dans les hôpitaux et même parfois dans leur propre maison.» Les nouveaux maîtres de Tombouctou violent parfois les détenues. L’une des victimes, qui a accepté de témoigner, a été emprisonnée «pour avoir fait tomber son voile». Elle avait à l’époque 13 ou 14 ans. Dans sa cellule, trois geôliers l’ont violée à tour de rôle.
Le juge Antoine Kesia-Mbe Mindua a aussi rappelé en détail, lors de la lecture du verdict, comment les jihadistes avaient forcé des familles de Tombouctou à leur donner leurs filles en mariage. Plusieurs d’entre elles ont été détenues dans des maisons fermées à clé, maltraitées, frappées et violées par leur prétendu «époux». Cependant, le procès n’a pas «prouvé que Al-Hassan a contribué à ces crimes», ont indiqué les juges du TPI, divisés sur cette question. «Quant à moi, je pense que le motif d’exonération pénale s’applique», a précisé Antoine Kesia-Mbe Mindua.
Al-Hassan a fui le Mali à l’arrivée des troupes françaises de l’opération Serval, en 2013, avant de reprendre part «aux activités de groupes armés au Mali de 2015 jusqu’à avril 2017, date de son arrestation». Sa peine sera fixée au cours d’une audience ultérieure, ultime étape du procès. Le chef d’Aqmi, Abdelmalek Droukdel, a quant à lui été tué dans un raid des forces spéciales françaises le 3 juin 2020. Iyad Ag-Ghaly l’a remplacé en prenant la tête du Groupe de défense de l’islam et des musulmans (Jnim, selon son acronyme en arabe), qui a à son tour prêté allégeance à Al-Qaeda. La cité de Tombouctou lui échappe, comme tous les grands centres urbains, mais sa région est repassée sous son contrôle.