Inattendu. Cette semaine, les autorités égyptiennes ont libéré trois prisonniers d’opinion. Le journaliste et opposant politique, Khaled Daoud, incarcéré depuis septembre 2019, est sorti de prison mardi. Puis le lendemain, Hossam El-Sayed et Solafa Magdy, un jeune couple de journalistes, après dix-sept mois de détention provisoire. Cette décision a surpris leurs proches ainsi que toutes les personnes qui militent pour le respect des droits humains en Egypte. Katia Roux, chargée de plaidoyer libertés à Amnesty International se réjouit de cette nouvelle, mais doute qu’il s’agisse d’un changement structurel.
Quelles sont les raisons de ces libérations ?
Pour l’instant, elles sont difficiles à identifier précisément. Mais on peut supposer qu’elles sont dues aux pressions internationales qui ont augmenté ces derniers temps, pour l’amélioration de la situation des droits humains en Egypte. Quatre résolutions d’urgence au Parlement européen ont été adoptées en moins de trois ans sur le sujet. La dernière, en décembre, appelait justement à la libération des prisonniers d’opinion. Joe Biden lors de sa campagne présidentielle avait également indiqué qu’une fois élu, il ne signerait pas de «chèque en blanc» à ses alliés stratégiques à tendance dictatoriale, sous-entendu l’Egypte. Reste que depuis cette déclaration et son arrivée au pouvoir, les relations entre les Etats-Unis et l’Egypte n’ont guère évolué. En parallèle, en octobre 2020, des élus du Congrès américain avaient publié une lettre ouverte où ils dénonçaient les atteintes à la liberté d’expression en Egypte. Celle-ci a été suivie d’une lettre du même type signée par plusieurs parlementaires européens.
Il y a aussi eu la visite du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi en France, en décembre dernier, qui a suscité une forte attention, notamment des médias, sur la répression dans le pays. Emmanuel Macron a mentionné lors de la conférence de presse, le cas particulier du défenseur des droits civils Ramy Shaath, dont l’épouse française Céline Lebrun-Shaath a été expulsée illégalement au moment de son arrestation en juillet 2019. Il faut rappeler que la France a un partenariat stratégique historique très étroit avec l’Egypte depuis des années, en particulier en matière de défense. Pour Amnesty, il est important que Paris use de ses relations étroites avec le pays pour interpeller l’Etat égyptien, ce qu’elle ne fait pas encore suffisamment. En mars, pour la première fois en sept ans, 31 Etats dont la France ont pointé du doigt les violations des droits humains en Egypte, notamment la répression contre la société civile dans une déclaration commune au Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
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Comment la nouvelle a-t-elle été reçue par la population égyptienne et les défenseurs des droits de l’homme ?
Cela a été un immense soulagement pour nous. Ces personnes ont été arrêtées alors qu’elles exprimaient pacifiquement leurs opinions. Elles n’auraient jamais dû passer ne serait-ce qu’un jour derrière les barreaux. Hossam El-Sayed et Solafa Magdy ont pu retrouver leur fils. Il n’avait que 7 ans lorsqu’ils ont été arrêtés. Khaled Daoud a également pu retrouver ses proches.
Cette nouvelle nous encourage à poursuivre nos efforts pour tenter de faire libérer les 60 000 prisonniers d’opinion dans le pays. Il faut savoir que les conditions de détention dans les prisons égyptiennes sont cruelles et inhumaines. Les prisons sont surpeuplées et les détenus sont donc entassés. Certains subissent des actes de torture, sont privés de soins médicaux, d’une alimentation correcte, de visites de leur famille ou de sorties à l’air libre pour faire de l’exercice physique. La santé de Solafa Magdy était extrêmement préoccupante en prison. L’enjeu aujourd’hui, c’est de faire en sorte qu’il y ait un changement structurel en Egypte, afin qu’aucune personne ne soit détenue de manière arbitraire et victime de répression.
Peut-on s’attendre à d’autres libérations dans les jours ou mois à venir ?
C’est difficile à prédire. On espère qu’il y en aura beaucoup d’autres, mais on n’y croit pas trop. Il se peut que les libérations de Khaled Daoud, Hossam El-Sayed et Solafa Magdy aient été ordonnées pour donner l’impression que les messages envoyés par la communauté internationale ont été pris en compte par le régime d’Al-Sissi. Alors que ce n’est pas véritablement le cas. C’est pour cela qu’on appelle à maintenir la pression sur le pouvoir égyptien sur la question des droits humains.
On doit continuer à militer pour obtenir des libérations inconditionnelles. Pour le moment, on ne sait pas dans quelles conditions ces trois journalistes ont été libérés. Il arrive souvent que les gens en sortant de prison se voient interdits de voyager ou voient leurs avoirs gelés. Cela a été le cas de trois membres de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), Mohamed Basheer, Karim Ennarah et Gasser Abdel Razek. C’est l’une des dernières ONG consacrées à la défense des droits de l’Homme en Egypte. Ils ont été arrêtés en novembre 2020 suite à une rencontre entre leur organisation et des diplomates étrangers, puis relâchés environ un mois plus tard.