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Catastrophe

Maroc : après le séisme, la course contre la montre pour trouver des survivants

Après le séisme de 6,8 sur l’échelle de Richter dont l’épicentre se trouvait à environ 70 km au sud de Marrakech, les secours tentent d’accéder au plus vite aux villages des montagnes de l’Atlas où les dégâts sont les plus importants. Le bilan provisoire dépasse désormais les 2 000 morts.
Dans la vieille ville de Marrakech ce samedi 9 septembre après le séisme de magnitude 6,8 qui a frappé le pays. (Fadel Senna/AFP)
publié le 9 septembre 2023 à 15h04
(mis à jour le 10 septembre 2023 à 7h50)

L’effort de solidarité des Marocains n’a pas souffert une seconde de retard. Alors que le pays se réveillait samedi matin, hébété, après le séisme de la nuit, très vite, les premiers élans pour apporter de l’aide se sont concrétisés. Au fil des heures de la matinée, dans tout le pays, des files impressionnantes de personnes venues donner leur sang se sont formées devant les hôpitaux et centres de transfusion. Pendant des heures, les Marocains, mais aussi beaucoup de touristes étrangers, ont attendu sous une chaleur accablante pour pouvoir donner leur sang.

Peu à peu, les secours s’organisent, alors que l’armée marocaine est mobilisée pour pour essayer de dégager au plus vite les débris barrant l’accès des routes et donc des secours. Car il faut aller vite si l’on veut sauver les personnes coincées sous les décombres et l’augmentation du bilan déjà très lourd.

Des pans entiers des remparts construits au XIIe siècle de la célèbre médina couleur rouge sable de Marrakech écroulés. Des nuées d’oiseaux s’envolant subitement des minarets. Des foules de personnes courant en criant dans les rues étroites des souks et qui, plus tard, ont passé la nuit à l’extérieur, à même le sol, dans la crainte de répliques. Des centaines de touristes assis sur le parking de l’aéroport de Marrakech. Les premières images du cœur touristique du Maroc diffusées ce samedi 9 septembre ne sont qu’une ébauche des conséquences de la violence du séisme de magnitude 6,8 sur l’échelle de Richter qui a touché cette région vendredi soir. Parce que si Marrakech déplore 13 morts selon un bilan provisoire, ce sont dans les villages situés vers l’épicentre du tremblement de terre, à environ 70 kilomètres au sud-ouest de la ville, dans les montagnes du Haut-Atlas que le bilan s’annonce terrible. Les secours mettront sans doute du temps avant d’atteindre ces villages, difficiles d’accès et dispersés dans les montagnes et où les maisons sont souvent construites en argile friable.

Samedi dans la nuit, les autorités marocaines ont publié un nouveau bilan encore provisoire de 2012 morts et 2.059 blessés, dont 1.404 sont dans un état très grave,. Plus d’un tiers des victimes ont été dénombrées dans la région de Al-Haouz, épicentre du séisme et à Taroudant, un peu plus au sud. Les autres régions ou villes particulièrement touchées sont Ouarzazate, Azilal et Chichaoua, ont indiqué les autorités. Il s’agit du pire séisme jamais vécu par le Maroc, en ce qui concerne la puissance sur l’échelle de Richter. Selon la Croix-Rouge, «des dizaines de milliers de personnes sont à la rue, sans alimentation, ni accès à l’eau». Le Maroc pourrait « avoir besoin d’aide pendant plusieurs d’années », a déclaré samedi soir l’organisation d’aide humanitaire. Dans de nombreux villages, les habitants tentaient, avec les moyens du bord et en attendant une aide extérieure, de localiser des survivants sous les décombres. Mais sortaient aussi de nombreux corps sans vie, allongés dans la rue, pudiquement dissimulés sous des couvertures.

«Tout tremblait, tout tombait»

Vendredi soir, il est 23h11 lorsque le séisme se déclenche. «On avait passé une soirée très sympa à siroter des cocktails et on s’apprêtait à payer, quand, vers 23h10, on a senti cette secousse, une sensation unique, comme un va-et-vient régulier et crescendo. J’ai tout de suite pensé que c’était un séisme, j’en avais vécu un petit auparavant. Ça a duré vingt secondes, mais on a eu l’impression que c’était bien plus long. Les verres ont commencé à glisser et à s’écraser au sol, les loupiottes à se balancer et on a vu de la fumée et des nuées d’oiseaux s’envoler du minaret de la Koutoubia [la plus grande mosquée de la ville, ndlr]», raconte Julie Tomeï, une Française de 35 ans venue passer un week-end à Marrakech avec une dizaine d’amis. Quelques heures après le séisme, réfugiée dans la villa qu’elle a loué avec des amis, à une vingtaine de minutes du centre de Marrakech, elle exprime son désarroi. «En voyant le bilan, on a un peu la gueule de bois, on se dit qu’on a eu de la chance. Et puis, on se sent en décalage aussi, on est dans une maison solide, confortable et on sait que la plupart des victimes vivaient dans les villages plus loin, dans des habitations nettement moins solides. On a le sentiment d’avoir été au cœur de ce drame et d’en être aussi totalement éloigné, d’avoir beaucoup beaucoup de chance.»

Une autre Française, Lucie, 29 ans, se trouvait sur un autre rooftop, sur la célèbre place Jemaa el-Fna. Avec son conjoint, ils étaient en plein voyage de noces. «D’un coup, on a senti que tout tremblait. De plus en plus fort. On n’a pas compris ce qui se passait. On ne savait pas s’il s’agissait d’un tremblement de terre, d’une explosion ou d’un immeuble qui s’écroulait. Il y a eu un grand moment de panique. Tout tremblait, tout tombait. C’était le chaos. Dans la rue, il y avait de la poussière partout, on ne voyait pas à 10 mètres. Un bout de la mosquée s’était effondré. L’atmosphère était hyper oppressante. Sur la place, il y avait énormément de personnes qui attendaient, sans savoir quoi faire. On a décidé d’aller dans le riad dans lequel nous étions hébergés pour récupérer nos bagages. On a couru, on avait peur. Des centaines de Marocains étaient allongés sur le sol avec des couvertures sur eux. On a eu l’impression de les abandonner.»

«Ma famille est sortie de la maison dès que nous avons senti les premières secousses, nous avons passé la nuit dehors par peur des répliques. Nous ne sommes revenus dans la maison qu’en début de matinée», témoigne Hamza, un vidéaste marocain de 38 ans, qui vit à Marrakech. Devant les hôpitaux marrakchis, qui accueillent les blessés de la ville mais aussi des villages voisins, de longues files de personnes prêtes à donner leur sang, se sont constituées. Parmi elles, beaucoup de touristes étrangers. «Nous sommes heureux de voir ces touristes étrangers donner leur sang, nous avons besoin de chaque goutte disponible», a réagi auprès de la chaîne Sky News Mahmoud Abghach, qui dirige un centre de don du sang.

«Nos voisins sont sous les décombres»

Outre Marrakech, la secousse a été ressentie à Rabat, Casablanca, Agadir et Essaouira, semant la panique dans le pays. Un appel national à ne pas rester à l’intérieur a été lancé et des milliers de Marocains ont passé la nuit dans la rue, par crainte de répliques et de voir s’effondrer les habitations.

A la mi-journée, les premières images des villages touchés vers le Haut-Atlas ont été diffusées, comme à Amizmiz, à environ 45 kilomètres au sud de Marrakech. Les images montrent des ruines encore fumantes et des amas de débris et des sauveteurs qui tentent de trouver des survivants. La ville, située juste au pied des montagnes, compte environ 11 000 habitants. «Nos voisins sont sous les décombres et tout le monde essaye de les sauver en utilisant les moyens du bord», a raconté à Sky News Montasir Itri, un habitant d’Asni, village de montagne situé 40 kilomètres à l’ouest d’Amizmiz et proche de l’épicentre.

« Il y a déjà eu des répliques et on attend la plus puissante, généralement d’un degré en dessous qui peut intervenir dans les heures ou les jours qui suivent, a prévenu le colonel Philippe Besson, président-fondateur de l’ONG Pompiers de l’Urgence internationale. La région touchée, au sud-ouest de Marrakech, est une zone montagneuse à plus de 1000 mètres d’altitude, avec des villages de plusieurs milliers d’habitants et espacés de quelques kilomètres. On y trouve des habitats traditionnels, des constructions locales en pierre, torchis, qui ne résistent pas aux séismes. On s’attend à un bilan encore plus lourd. Les routes pour y accéder ne sont pas très praticables, voire endommagées. Chaque heure compte, chaque minute compte. »

L’armée marocaine a déployé «des moyens humains et logistiques importants, aériens et terrestres», ainsi que des équipes de recherche, de sauvetage, et un hôpital de campagne dans la région d’Al-Haouz, a rapporté l’agence officielle MAP. Certaines images montraient des villages totalement rasés, seul restait parfois debout un minaret ou un mur isolé.

Condoléances et envoi d’aide humanitaire

Les réactions de la communauté internationale ont été immédiates et nombreuses, de l’Allemagne à la Russie, en passant par l’Arabie Saoudite, l’Ukraine, l’Espagne ou les Emirats arabes unis. Ces condoléances ont été associées à de très nombreuses propositions d’aide pour les secours, notamment de la Turquie, qui a connu en février un terrible séisme d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter et qui a tué plus de 50 000 personnes. Le Premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, a annoncé l’envoi d’une équipe d’aide dans le secteur.

Malgré des relations diplomatiques tendues, l’Algérie et la Tunisie ont également transmis leurs condoléances et proposé l’envoi d’aide humanitaire. «L‘Algérie suit avec consternation et tristesse les répercussions du violent séisme qui a frappé plusieurs régions du royaume marocain», a déclaré le ministère algérien des Affaires étrangères.

Dans un message publié sur Twitter (rebaptisé X), le président français, Emmanuel Macron, s’est dit «bouleversé» par les événements et a proposé l’aide de la France, qui compte une importante communauté d’origine marocaine. Il venait d’atterrir à Delhi où se tient ce week-end la réunion du G20. Des cellules de crise ont été ouvertes au Quai d’Orsay et à l’ambassade de France au Maroc, et samedi soir le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères annonçait qu’un Français était décédé à Agadir des suites d’une crise cardiaque et que huit autres avaient été blessés.

« Nous déplorons le décès d’un ressortissant Francais à Agadir, suite à un malaise cardiaque pendant le séisme », a fait savoir le Quai d’Orsay, qui a par ailleurs identifié « huit ressortissants » blessés, avec lesquels il dit être « en contact étroit afin de (s’)assurer de leur bonne prise en charge ». Agadir se trouve à quelque 200 km à vol d’oiseau d’Al-Haouz, l’épicentre du séisme, mais il y a été fortement ressenti.

De nombreuses organisations caritatives françaises ont lancé samedi un appel à la générosité auprès du grand public, afin d’aider les sinistrés du Maroc. Le Secours populaire français a annoncé dans un communiqué qu’il débloquait 50 000 euros issus de son «fonds d’urgence» pour «venir en aide aux enfants et aux familles qui ont tout perdu».

Près de 24 heures après le séisme, le roi Mohammed VI n’avait toujours pas réagi. Sur les réseaux sociaux, on s’interrogeait de plus en plus sur l’absence totale de réaction officielle, si ce n’est celle du ministère de l’Intérieur qui a multiplié les annonces de bilan et d’envoi de secours. Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch est également resté muet, mais, très mutique depuis son arrivée à la tête du gouvernement en octobre 2021, le Premier ministre ne peut de toute façon se permettre de s’exprimer avant le roi.

Ce dernier, selon nos informations, se trouvait encore à Paris vendredi et deux avions de la Maison royale marocaine auraient rejoint Paris samedi. Peut-être pour transporter le souverain vers le Maroc. Vendredi en début de soirée, le cabinet royal décrétait un deuil national de trois jours. «Il a été décidé un deuil national de trois jours, avec mise en berne des drapeaux sur tous les bâtiments publics», a indiqué un communiqué du palais royal publié par l’agence officielle MAP, à l’issue d’une réunion présidée par le roi Mohammed VI consacrée à l’examen de la situation après le séisme.

Le Maroc a déjà connu des séismes meurtriers. Le 24 février 2004, un séisme de 6,4 degrés sur l’échelle de Richter avait secoué la province d’Al-Hoceima, à 400 kilomètres au nord-est de Rabat, faisant 628 morts. Et le 29 février 1960, un tremblement de terre de magnitude 5,7 avait détruit Agadir, sur la côte ouest du pays, et fait près de 15 000 morts, soit un tiers de la population de la ville.

Mis à jour le 10/09/2023 à 07h50 avec le nouveau bilan provisoire.