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Mercenaires en Afrique : de Goma à Bucarest, les tribulations belliqueuses d’Horatiu Potra, le «Prigojine roumain»

Après avoir perdu sa dernière bataille en RDC, le Franco-Roumain Horatiu Potra est en fuite, accusé d’avoir tenté de déstabiliser la Roumanie au profit de l’extrême droite prorusse.
L'ancien légionnaire franco-roumain Horatiu Potra (au centre), en août 2024 à Goma, en RDC. (Andreea Campeanu)
publié le 17 mars 2025 à 15h15

Connu pour ses positions prorusses comme pour ses activités de mercenaire en Afrique, Horatiu Potra, ancien légionnaire franco-roumain de 55 ans, a souvent été surnommé le «Prigojine roumain» en raison d’une ressemblance, il est vrai troublante, avec le fondateur du groupe Wagner : boule à zéro et sourire narquois. «Vous les gars, qui avez combattu au Congo, appelez vos hommes et allez combattre», aurait-il récemment lancé dans un groupe WhatsApp, avant que cet appel à l’insurrection contre Bucarest ne soit relayé, dimanche 9 mars, par un compte nationaliste roumain sur X intitulé «Brave Romania».

Comme le défunt chef des mercenaires russes qui avait tenté un coup de force en marchant sur Moscou, Potra espère-t-il provoquer un soulèvement en faveur de Calin Georgescu, le leader de l’extrême droite roumaine dont la candidature présidentielle vient d’être invalidée à Bucarest ? La référence au Congo rappelle en tout cas opportunément que ce quinquagénaire, poursuivi par la justice roumaine et désormais en fuite, fut aussi – et peut-être d’abord – un «chien de guerre» en Afrique.

Un arsenal à Bucarest

Sa dernière mission africaine l’aura conduit dans ce «Congo» lointain qu’il invoque, aux franges orientales de l’immense république démocratique du Congo (RDC), où il vient de passer plus de deux ans à la tête d’une force impressionnante de près d’un millier de mercenaires, roumains ou franco-roumains comme lui. Potra a acquis la double nationalité après avoir servi dans les rangs de la Légion étrangère où il est resté cinq ans, de 1992 à 1997 avant de créer RALF, une société de sécurité privée regroupant des anciens légionnaires roumains reconvertis dans la sécurité privée.

La référence au Congo n’était pourtant pas la plus judicieuse pour mobiliser les sympathisants de Georgescu. Car l’aventure congolaise de Potra et de ses troupes s’est achevée par un retentissant fiasco. Peut-être la débâcle la plus significative de l’histoire récente pour des mercenaires blancs enrôlés dans une guerre africaine. Quand cette défaite a été actée en RDC fin janvier, Potra avait déjà quitté l’Afrique. De retour en Roumanie où une autre urgence exigeait sa présence : sauver la candidature de Calin Georgescu, arrivé en tête du premier tour de la présidentielle fin novembre avant l’annulation du deuxième prévu le 8 décembre en raison d’une campagne de soutien illicite de la Russie via la plateforme TikTok.

Dans la soirée du 7 décembre, Potra fonce en voiture vers Bucarest où est prévue une manifestation en faveur du candidat d’extrême droite mais en chemin, il est interpellé par la police. Laquelle découvre dans son véhicule un véritable arsenal : des machettes, des épées, des armes à feu, un drone professionnel, des fumigènes, et plus de 20 000 euros en espèces. Les perquisitions effectuées dans la foulée à son domicile vont permettre de retrouver encore plus d’armes et plus de deux millions d’euros en espèces, dont des francs congolais. Arrêté puis placé en liberté conditionnelle, Porta va réussir à fuir la Roumanie. Il se serait réfugier à Dubaï, d’où il a lancé son appel au combat, repris sur les réseaux sociaux. En vain.

«Instructeur»

Le destin joue parfois de drôles de tours. En moins de deux mois, Potra a tout perdu, la Roumanie, mais aussi l’Afrique, où il avait pourtant fait des affaires florissantes. Sa carrière commence pourtant dans la péninsule arabique. A la fin des années 90, il devient le chef de la sécurité de l’émir du Qatar, recommandé par le capitaine Paul Barril, un ancien officier de gendarmerie à la réputation sulfureuse, soupçonné d’avoir joué un rôle trouble pendant le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994. Or c’est ensuite en Afrique que Potra proposera ses services et ses hommes, du Tchad à la Centrafrique en passant par la Côte d’Ivoire. Le juteux business des mines l’attire également. Il assure la sécurité de mines de diamants en Sierra Leone ou celle d’une mine de manganèse dans le nord du Burkina Faso. C’est là, en 2015, qu’un de ses employés, Iulian Ghergut sera enlevé par un groupe jihadiste. Seul otage roumain détenu au Sahel, il sera libéré huit ans plus tard, en 2023.

A ce moment-là, l’ancien légionnaire est déjà au Congo. Pour la première fois, le Franco-roumain sort de l’ombre, notamment grâce à une photo prise début 2023, quelques semaines après son arrivée dans la province du Nord-Kivu. On y voit le patron de RAFL au milieu d’une route de campagne, chemise rayée et AK47 en bandoulière. Il ne se cache pas, accepte de rencontrer les médias. «Crâne glabre, visage fermé, plutôt petit et une musculature savamment entretenue, Potra en impose et le sait», affirment Olivier Liffran et Joan Tilouine, deux journalistes qui l’ont rencontré en mars 2024 à Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, pour la revue XXI. S’il est à l’aise et même «volubile», Potra refuse le qualificatif de mercenaire préférant être appelé «instructeur». Mais personne n’est dupe. Face aux faiblesses des forces gouvernementales congolaises, les FARDC, réputées indisciplinées, mal ou pas payées voire corrompues, les mercenaires font parfois le coup de feu à leur place.

D’autant que l’adversaire est coriace. Depuis 2021, un groupe rebelle est réapparu après neuf ans de sommeil. Soutenu par le petit Rwanda voisin, le M23 revendiquait surtout lors de sa création en 2012 la protection des Tutsis congolais, régulièrement stigmatisés dans cette région frontalière avec le Rwanda, où la minorité tutsie a été décimée en 1994. Bien plus disciplinés et aguerris que les FARDC, ces rebelles vont progressivement occuper une grande partie du Nord-Kivu. Jusqu’à s’approcher de Goma dont ils s’étaient déjà brièvement emparés en 2012.

A Kinshasa, la lointaine capitale congolaise distante de plus de 1 500 km, le régime du président Félix Tshisekedi cherche la parade face à la progression du M23. Fin 2022, il obtient la levée d’un embargo imposé en 2000 et pourtant peu restrictif qui consistait essentiellement à déclarer – et non interdire – les ventes d’armes au régime de Kinshasa. Horatiu Potra arrive dans l’est du Congo deux jours après cette décision qui va provoquer une inflation inédite de matériel militaire. «Entre 2022 et 2023, les dépenses de défense du gouvernement congolais ont augmenté de 105 % – la plus forte augmentation au monde en termes de pourcentage – pour atteindre 794 millions de dollars», souligne une enquête parue dans Libération fin novembre. L’arrivée des mercenaires occidentaux constitue le second acte de cette tentative de reprise en main.

Reddition mise en scène

Deux sociétés de sécurité privée sont sollicitées. Algemira, dont le siège se trouve en Bulgarie, dirigée par Olivier Bazin, un Français depuis longtemps très impliqué dans les réseaux de la Françafrique. Et RALF, la boîte fondée par Horatiu Potra, qui sera le principal pourvoyeur de mercenaires venus de l’Est : au total, il en engagera près d’un millier sur le terrain congolais. Pour y parvenir, il recrute au-delà de sa propre société, d’anciens soldats ou policiers roumains. Avec un salaire estimé à 5 000 dollars par mois, les candidats ne manquent pas, quand les militaires congolais doivent se contenter d’une solde de 100 dollars par mois (91 euros environ). Lorsqu’ ils sont payés.

Un tel afflux d’hommes blancs en armes ne passe pas inaperçu à Goma. Ils installent leur QG, gardé comme une forteresse, à l’hôtel Mbiza non loin de l’aéroport, ont interdiction de sortir le soir ou de boire de l’alcool. Horatiu Potra, de son côté, ne néglige pas ses propres affaires et prend notamment des parts dans une loterie de jeux de hasards, Inua Maisha, selon le site Africa Intelligence. Mais les «Romeos» comme on appelle ces mercenaires roumains, vont vite déchanter. Les combats sont féroces et dés la fin 2022, au moins cinq d’entre eux seront tués sur le front ou dans des embuscades. Bucarest confirmera deux autres décès en février 2024. Surtout, les alliés des mercenaires restent peu fiables. Outre les FARDC peu motivées à combattre pour un salaire de misère, plusieurs groupes armés, parmi les quelque 200 qui pullulent dans la région, ainsi que de simples civils, ont été encouragés par Kinshasa à rejoindre la lutte contre le M23. Tous regroupés sous le vocable de «wazalendos», les patriotes. Après avoir bénéficié de distributions d’armes massives, ces renforts se révéleront plus prédateurs que guerriers. N’hésitant pas à rançonner ou enlever de simples citoyens à Goma, où l’insécurité va grimper en flèche.

Pour les mercenaires et cette hétéroclite coalition gouvernementale, le coup fatal est porté fin janvier 2025, lorsque le M23 s’empare de Goma. Réfugiés dans une base de la Monusco, la mission de maintien de la paix de l’ONU sur place, quelque 288 mercenaires roumains vont négocier leur reddition au terme d’intenses tractations. Le 29 janvier, le spectacle est soigneusement orchestré par les forces rebelles : sous l’œil des caméras, ces mercenaires blancs sont exhibés, agenouillés en file indienne, au poste frontière entre la RDC et le Rwanda, d’où ils repartent vers la Roumanie. Mais où se trouve le reste des hommes recrutés par Potra, qui en a dirigé jusqu’à un millier ? Début mars, une vidéo partagée sur les réseaux sociaux montre des hommes blancs déchargeant des munitions d’un hélicoptère du côté d’Uvira à la frontière avec le Burundi. Selon certaines sources, une partie des mercenaires se seraient redéployés autour de la ville de Kisangani, à plus de 600 km de Goma. D’autres auraient fui par le Burundi. Leur chef ne leur sera d’aucun secours. Alors que des négociations de paix entre le pouvoir et les rebelles devraient démarrer ce mardi 18 mars en Angola, Horatiu Potra est en fuite. Une déroute qui l’aura mené des rives du lac Kivu jusqu’aux faubourgs de Bucarest.