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Immigration

Naufrages en Méditerranée : Human Rights Watch appelle Frontex à agir «avec humanité»

Migrants, l'hécatombedossier
Une délégation de Human Rights Watch doit rencontrer le 2 avril des représentants de l’agence européenne pour exiger des actions concrètes face aux naufrages meurtriers en Méditerranée, qui ont déjà coûté la vie à plus de 32 000 personnes depuis 2014.
Des secouristes de l'«Ocean Viking» distribuent des gilets de sauvetage à des migrants recueillis en Méditerranée en octobre 2022. (Vincenzo Circosta /AFP)
publié le 28 mars 2025 à 14h33

La nuit était tombée à Sfax, ville portuaire de l’est de la Tunisie, lorsque 56 migrants ont pris le large, dans la soirée du 17 mars, à bord d’un frêle canot pneumatique. Parmi eux, des Camerounais, des Ivoiriens, des Maliens et des Guinéens fuyant la guerre ou la misère, portés par l’espoir d’atteindre l’Europe. Mais après seulement quelques heures en mer, le bateau a commencé à prendre l’eau. Lorsque les secours ont atteint l’embarcation, à une vingtaine de kilomètres de l’île italienne de Lampedusa, il ne restait que dix survivants. Six corps sans vie ont également été repêchés. Les quarante autres personnes ont disparu dans l’immensité de la Méditerranée.

Ce nouveau drame met en lumière une tragédie qui se répète inlassablement sur cette dangereuse route migratoire. La veille de ce naufrage, environ 600 personnes avaient été interceptées en mer par les garde-côtes tunisiens, et 18 corps sans vie, dont ceux d’enfants, avaient été retrouvés. Des images poignantes partagées sur les réseaux sociaux montraient des exilés subsahariens épuisés, certains agrippés à des bouées, d’autres complètement déshydratés. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), près de 32 000 personnes ont péri ou disparu en Méditerranée au cours de la dernière décennie, dont au moins 2 200 pour la seule année 2024, et souvent dans l’indifférence générale.

«Diffamation systématique»

Pour dénoncer cette situation et inciter l’Union européenne (UE) à renforcer les politiques de recherche et de sauvetage en mer, une délégation de Human Rights Watch (HRW) doit rencontrer, mercredi 2 avril à Varsovie, des représentants de Frontex, l’agence européenne chargée du contrôle des frontières extérieures de l’espace Schengen. Depuis près de six mois, l’ONG mène la campagne #AvecHumanité et a recueilli près de 18 000 signatures pour exiger que «l’humanité et le respect des droits fondamentaux» soient placés au cœur des actions de cette organisation tentaculaire. Créée en 2004 avec des ambitions modestes, Frontex dispose aujourd’hui d’un budget colossal de 845 millions d’euros, de plus de deux milliers d’employés et de systèmes de surveillance ultrasophistiqués (drones, radars, biométrie…).

Cet investissement massif a permis une baisse drastique du nombre d’arrivées de migrants et réfugiés sur le sol européen : les franchissements irréguliers des frontières de l’UE ont diminué de 38 % en 2024, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2021. Si Frontex s’est félicitée de ces «progrès», HRW déplore un abandon croissant, par l’UE et ses Etats membres, de leurs responsabilités en matière de protection de la vie et de la sécurité en mer. En cause : le processus d’externalisation des frontières qui leur permet de confier la gestion des flux migratoires à des pays tiers, exposant les exilés à de graves violations des droits humains. «L’agence alerte régulièrement les autorités côtières de pays comme la Tunisie et la Libye, malgré leurs antécédents d’abus largement documentés, mais communique rarement la position de ces bateaux aux navires de sauvetage des ONG dans la région et émet rarement des alertes d’urgence, qui sont envoyées à tous les navires à proximité», regrette HRW.

Préserver la vie des exilés

Depuis 2017, l’UE collabore étroitement avec la Libye pour intercepter les migrants en mer, malgré les exactions largement documentées : torture, détention arbitraire, exploitation et violences sexuelles commises contre les personnes refoulées. Elle a également signé en 2023 un accord controversé avec Tunis, prévoyant une aide financière européenne d’environ 105 millions d’euros pour renforcer les contrôles migratoires dans le pays d’Afrique du Nord.

Pour faire face à cette situation, l’organisation de défense des droits humains exhorte le directeur exécutif de l’agence, Hans Leijtens, à mettre en place des mesures concrètes afin de préserver la vie des exilés. Dans une lettre ouverte, l’organisation appelle notamment Frontex à utiliser ses moyens de surveillance aérienne (avions et drones) pour transmettre systématiquement la location des bateaux en détresse aux ONG, envoyer des alertes d’urgence rapidement, ou encore garantir une assistance rapide et adaptée : «En tant qu’institution constituée d’agents publics qui affirme “se soucier des gens”, il est temps que Frontex démontre sans équivoque sa volonté d’agir avec humanité.»