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Libération
Un an et demi

Olivier Dubois : depuis son enlèvement, un Mali en plein délitement

Ensemble pour Olivier Duboisdossier
Putschs, répression censure des journalistes… Que reste-t-il du pays chéri par Olivier Dubois qui a traversé ­en dix-huit mois une des périodes les plus bouleversantes de son histoire ?
Lors de l'annonce du retrait de la France du Mali, à Bamako, le 19 février 2022. (Florent Vergnes/AFP)
publié le 7 octobre 2022 à 20h10

S’il revenait aujourd’hui à Bamako, libre de ses ravisseurs, le désert dans son dos, quel Mali trouverait Olivier Dubois ? Ce pays si cher à son cœur, dans lequel il est arrivé voilà six années, il ne le reconnaîtrait sans doute pas. Depuis son enlèvement par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) à Gao, il y a dix-huit mois, le Mali a traversé l’une des périodes les plus bouleversantes de son histoire. Après une décennie de guerre, deux coups d’Etat ont fait vaciller la démocratie malienne vers un régime autoritaire.

La métamorphose a été progressive. D’abord acclamés par la foule pour avoir renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août 2020, jugé clientéliste et inefficace dans la lutte contre les jihadistes, les putchistes ont eu leur moment de grâce, pendant lequel même Emmanuel Macron les félicitait «d’avoir donné, en quelques mois, plus de gages que les autorités précédentes en trois ans». C’est le deuxième coup d’Etat, celui du 24 mai 2021, lorsque les colonels confisquent le pouvoir aux civils de la transition, qui déclenche les hostilités. Paris décide alors de mettre un terme à l’opération Barkhane, tandis que Bamako négocie en coulisses un rapprochement avec Moscou. Le virulent nouveau Premier ministre, Choguel Maïga, reproche à la France un «abandon en plein vol», et opère un virage répressif, plongeant le Mali dans l’incertitude.

Des opposants politiques sont arrêtés, des députés contestataires destitués, des défenseurs des droits humains intimidés, des chercheurs inculpés. Une chape de plomb étrangle progressivement la liberté d’expression. Les élections prévues en février sont repoussées à 2024, laissant à la junte le champ libre. Aucun commentaire mettant en doute la bonne marche de la transition militaire n’est désormais toléré. Des kompromats sont servis aux contrevenants, sous forme de vidéos diffamatoires diffusées sur les réseaux sociaux. La méthode Wagner est à l’œuvre.

Nombreuses accusations de violations des droits de l’homme

S’il revenait aujourd’hui, Olivier ne trouverait plus ses camarades correspondants avec lesquels il partageait des conseils et des débats enflammés. Ils sont presque tous partis, ne pouvant plus exercer leur métier sans la pression constante d’un gouvernement qui ne renouvelle plus aucune accréditation depuis huit mois. Un journaliste expulsé, plusieurs arrêtés, tous assignés à fournir un «traitement patriotique» de l’information. Qu’ils soient maliens ou étrangers, les journalistes font face à la censure, aux invectives des gouvernants et leurs affidés. La diffusion de France 24 et de RFI a été coupée et avec elle les messages de soutien des proches d’Olivier, qu’il écoutait attentivement au fond du désert.

S’il revenait aujourd’hui, Olivier apercevrait les nombreux drapeaux russes qui flottent dans la capitale, remplaçant parfois les drapeaux maliens. Il enquêterait sans doute sur les nombreuses accusations de violations des droits de l’homme qui visent les Forces armées maliennes et leurs supplétifs wagnériens. Ces massacres au centre, comme celui de Moura, font le lit des mêmes jihadistes qui le tiennent aujourd’hui en otage. Quel meilleur outil de recrutement pour les groupes armés que les violentes injustices perpétrées par l’armée contre les civils ?

Olivier s’étonnerait peut-être de voir le soutien sans faille de nombreux Maliens au pouvoir de Moscou. L’apparition d’un discours panafricain éloigné de ses idéaux libertaires originaux, s’opposant au néocolonialisme de la France, prônant le souverainisme et l’assujettissement à la Russie, dernière puissance colonisatrice niant à l’Ukraine sa souveraineté. Il lirait les nombreux rapports du Programme alimentaire mondial qui s’inquiètent de l’insécurité alimentaire croissante dans un Sahel privé du blé ukrainien confisqué par la Russie, ceux des experts de l’ONU préoccupés par l’absence de progrès dans la mise en œuvre de l’accord de paix avec les indépendantistes au nord. Encore les nombreuses alertes de sécurité dénonçant les massacres de l’Etat islamique dans la région de Ménaka. L’explosion globale des violences commises sur les civils, dont plus ont été tués dans les six premiers mois de 2022 que pendant toute l’année 2021.

Retour du populisme et de l’autoritarisme

S’il revenait aujourd’hui, Olivier serait-il surpris par l’effet domino des putschs maliens dans les pays voisins ? Guinée, Tchad, Burkina Faso (deux fois). Du retour du populisme et de l’autoritarisme, déstabilisant les institutions régionales, mettant la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et le G5 Sahel face à leurs responsabilités ? Celles d’offrir aux populations plus que des sanctions : du soutien, de la sécurité, du dialogue, nécessaires au renouvellement d’une confiance en la démocratie.

A l’heure où Moscou tente par tous les moyens de regarnir ses troupes sur le front ukrainien, un message publié le 30 septembre sur la page du groupe Wagner sur le réseau social russe Vkontakte a de quoi inquiéter les colonels maliens. Il avertit la suspension des recrutements pour l’Afrique et le Moyen-Orient, afin de rediriger les mercenaires vers le Donbass. En difficulté, au nord et à l’est, face à l’Etat islamique, tandis qu’au centre, les attaques du Jnim se rapprochent de Bamako, la junte est en cruel manque d’effectifs. Mercredi, le Conseil des ministres malien a adopté un projet de loi militarisant la police nationale. De quoi rappeler aux Maliens les élans les plus autoritaires de l’ancien dictateur Moussa Traoré.