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Analyse

«Personne ne peut justifier cette décision» : consternation au Gabon après l’exfiltration surprise des Bongo

L’ancien président, sa femme et son fils ont quitté le Gabon, libres, pour trouver refuge en Angola, dans la nuit du jeudi 15 au vendredi 16 mai. Une annonce qui a suscité l’incompréhension de beaucoup de Gabonais.
Ali Bongo, sa femme et son fils, le 16 mai 2025 à Luanda, en Angola. (AFP)
publié le 16 mai 2025 à 19h40

«Départ secret, silence officiel» : dans une formule lapidaire, le média en ligne Gabon Media Time a résumé le malaise suscité à l’annonce de l’exfiltration en douce de l’ex-président Ali Bongo, de sa femme Sylvia et de leur fils aîné Noureddine dans la nuit du jeudi 15 au vendredi 16 mai. Ils avaient déjà atterri à Luanda, capitale de l’Angola, quand les Gabonais l’ont appris. Et ce ne sont pas les autorités gabonaises qui l’ont annoncé, mais… Joao Lourenço, le président angolais, sur sa page Facebook.

En revanche, aucune déclaration en provenance du palais du bord de mer, siège du pouvoir, où s’est installé Brice Oligui Nguema, le tombeur d’Ali Bongo, depuis le coup d’Etat militaire du 30 août 2023. Seul un procureur a fini par prendre la parole vendredi, en fin de matinée, expliquant que la justice avait décidé de leur accorder une «liberté provisoire», notamment pour raisons de santé ; s‘empressant d’ajouter que cette décision ne remettait pas en cause la procédure judiciaire visant Sylvia et Noureddin, et assurant que le procès aura bien lieu. Apparemment sans vraiment convaincre.

Les Gabonais contactés à Libreville par Libération, comme les réactions observées sur les réseaux sociaux, sont unanimes : «stupéfaction», «honte», «incompréhension», les mêmes mots reviennent en boucle. «Depuis ce matin, tout le monde ne parle que de ça. Mais je n’ai trouvé personne pour justifier cette décision», soulignait vendredi après-midi un habitant de la capitale.

Rupture de confiance

Moins de quinze jours après l’investiture d’Oligui Nguema, élu le 13 avril avec plus de 90 % des voix, l’exfiltration des Bongo pourrait-elle entamer sa popularité ? Elle tient essentiellement à ce coup d’Etat qui a mis un terme aux seize années de règne d’Ali Bongo, jugé encore plus sévèrement que son père Omar, resté au pouvoir pendant plus de quarante ans. «C’est le début d’une rupture de confiance», s’est lamenté en ligne un député qui avait pourtant soutenu les dix-huit mois de transition imposés par le nouveau maître du pays avant son élection triomphale.

Ali, Sylvia et Noureddin, n’ont pas connu le même sort au lendemain du coup d’Etat, orchestré par celui qui était jusqu’alors le chef de la garde républicaine. Oligui Nguema avait assigné à résidence le président déchu, qui se trouve être aussi son cousin. En revanche Sylvia, une Française qui a grandi au Gabon, et Noureddin, âgé de 31 ans au moment du putsch, avaient été rapidement incarcérés, puis inculpés au cours d’une procédure judiciaire qui se voulait exemplaire.

Accusée de «blanchiment de capitaux», de «recel» et de «faux et usage de faux», elle payait ainsi le prix de son influence grandissante sur son époux, fortement diminué par un AVC depuis 2018. Souvent jugée arrogante et dépensière, on lui prêtait également le projet d’installer son fils Noureddin à la tête du pays. Ce dauphin présumé était conseiller de son père quand il a été arrêté fin août 2023, avec plusieurs membres de sa garde rapprochée, cette «young team», souvent considérée comme décadente et prédatrice par les Gabonais. Le fils sera pour sa part inculpé pour «corruption» et «détournements de fonds publics». Sous l’œil des caméras, des valises entières de billets avaient été retrouvées chez lui le jour de son arrestation.

«Le procès n’aura jamais lieu»

Les conditions très dures de leur détention, et même les soupçons de torture pour leur extorquer leurs biens, du Gabon à Dubaï, en passant par Londres ou Marrakech, ont été souvent évoqués par les avocats de la mère et du fils. Sans réellement émouvoir les Gabonais. «Et eux ? N’ont-ils pas jeté tant de gens en prison dans des conditions tout aussi atroces ? Leur sort ne m’intéresse pas», avait tranché un Gabonais, contacté à la veille de l’élection d’Oligui Nguema en avril. Le nouveau président ne semblait guère plus enclin à ménager la femme et le fils de son cousin, promettant régulièrement la rupture avec les années Bongo, et la tenue de ce procès, symbole de la fin de l’impunité.

Sauf que ce procès exemplaire risquait de provoquer un déballage potentiellement gênant. Et notamment pour le tombeur d’Ali, qui vient lui aussi du sérail. Longtemps protégé par Omar Bongo, dont il fut l’aide de camp, avant de servir le fils Ali, malgré quelques années de disgrâce. «Je n’ai pas dirigé ce pays tout seul», avait d’ailleurs maintes fois rappelé Ali Bongo après son assignation à résidence, suggérant ainsi l’effet boomerang qui risquait d’éclabousser ses accusateurs. «Le procès n’aura jamais lieu car ils ont trop peur de ce que Sylvia peut lâcher devant la cour», prédisait déjà début mai l’écrivain gabonais Janis Otsiemi.

Tout s’est finalement accéléré après l’installation du nouveau président au pouvoir. Dimanche, on apprenait d’abord que Sylvia et Noureddin étaient sortis de prison. Placés en résidence surveillée dans leur propre maison du quartier chic de La Sablière où se trouvait déjà Ali. Mardi, le président angolais effectuait une visite très opportune à Libreville ; et trois jours plus tard, il accueillait à Luanda la famille Bongo. Reste à savoir qui rendra des comptes pour les années d’arbitraire, les fonds détournés, l’attaque sanglante du QG de l’opposition en 2016… Vendredi, à Libreville, ces questions restaient toujours sans réponse.