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RDC

Procès de la rébellion du M23 à Kinshasa : les 26 accusés condamnés à mort

Seuls cinq prévenus, totalement inconnus, étaient physiquement présents lors de ce procès expéditif organisé par un tribunal militaire congolais. Les 19 autres, cadres de la rébellion du M23 ou du mouvement allié AFC, sont considérés comme «en fuite».
Certains des prévenus accusés d'appartenir au groupe rebelle M23 lors de leur condamnation à mort le 8 août, à la prison de Ndolo à Kinshasa. (Hardy Bope/AFP)
publié le 9 août 2024 à 15h10

Le président de la cour militaire de Kinshasa, le colonel Robert Efomi, avait promis de la «célérité» lors de l’ouverture du procès, le 24 juillet. Il n’a pas manqué à sa parole. Deux semaines auront suffi, délibérations comprises, pour condamner les 26 prévenus à la peine de mort pour «crimes de guerre», «participation à un mouvement insurrectionnel» et «haute trahison». Ils sont accusés d’avoir participé à la rébellion du M23, qui affronte l’armée congolaise depuis 2021 avec le soutien du Rwanda et continue à élargir son territoire au Nord-Kivu, dans l’est du pays, ou à l’Alliance du fleuve Congo (AFC), une plateforme politico-militaire alliée.

Parmi eux, Corneille Nangaa, l’ancien président de la Commission électorale nationale, aujourd’hui coordinateur de l’AFC ; Bertrand Bisimwa, le président du M23 ; Sultani Makenga, chef militaire du mouvement ; Willy Ngoma et Lawrence Kanyuka, ses porte-parole. Tous jugés in abstentia. Seuls cinq prévenus, parfaitement inconnus du grand public, étaient présents à l’audience. Le tribunal les a tous reconnus coupables, sans admission de circonstances atténuantes, allant même au-delà des réquisitions du ministère public qui avait demandé vingt ans de détention pour l’un des 26 accusés. Il clamait son innocence et affirmait avoir été arrêté arbitrairement du fait de son patronyme (Nangaa, comme Corneille Nangaa). Lui aussi a été condamné à la peine capitale.

«Procès politique»

«Ce à quoi on a assisté est malheureusement très loin de l’idée que les trop nombreuses victimes d’abus graves de droits humains commis en RDC, y compris indéniablement ceux commis par le M23, se font de la responsabilisation et de la justice, commente Jean-Mobert Senga, chercheur sur la RDC pour Amnesty International. Condamner une personne à la peine capitale est toujours extrême et inacceptable. En condamner 26 (dont 21 par contumace) au bout de deux semaines à peine d’un procès manifestement orchestré à des fins purement politiques, est inqualifiable.» L’organisation de défense des droits humains demande l’annulation «pure et simple» des condamnations.

Plusieurs membres du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de l’ancien président Joseph Kabila (2001-2019) ayant individuellement rejoint l’AFC faisaient également partie des personnes jugées. Mardi, de Bruxelles où il répondait à des journalistes de la radio Top Congo, le président de la République, Félix Tshisekedi, a pour la première fois accusé son prédécesseur d’être directement lié à la création du mouvement politico-militaire de Naanga. «Joseph Kabila ? L’AFC, c’est lui. Il a boycotté les élections et prépare une insurrection, a-t-il affirmé. L’AFC collabore avec le Rwanda contre la RDC.»

Levier pour de futures négociations

Avec ce procès, les autorités congolaises mettent la pression sur les cadres de l’ancien régime. Dans ce petit jeu politico-judiciaire, «Kinshasa possède une carte maîtresse : elle s’appelle Eric Nkuba Shebandu», rappelle Christophe Rigaud, fondateur du site d’information spécialisé Afrikarabia : «Ce cadre de l’AFC, présenté comme conseiller politique de Corneille Nangaa et interpellé en Tanzanie en janvier 2024, avait accusé des personnalités politiques comme Joseph Kabila, Claudel Lubaya ou John Numbi [l’ancien chef de la police de Kabila] d’être des contacts politiques de Nangaa. Ce procès pourrait faire l’objet du grand déballage souhaité par Kinshasa.» Un levier que le pouvoir congolais estime peut-être utile dans le cadre de futures négociations – un cessez-le-feu entre le Rwanda et la RDC a été décrété (mais déjà violé) lundi 8 août. D’autant que militairement, l’armée congolaise apparaît incapable de regagner du terrain au Nord-Kivu.

Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, était présent jeudi à l’audience de jugement, dans l’enceinte de la prison militaire de Ndolo, à Kinshasa. A la sortie du procès, il a qualifié les condamnations à la peine de mort de «bon droit» qui sert à «réparer moralement toutes les victimes» du M23, ajoutant : «Nous allons veiller à l’application de la peine de mort.» Le moratoire qui empêchait l’exécution des peines capitales en République démocratique du Congo, en vigueur depuis 2003, a été levé en mars dernier. Début juillet, déjà, une cinquantaine de militaires congolais ont été condamnés à mort pour «lâcheté» et «fuite devant l’ennemi» dans l’est du pays. Les prévenus condamnés ce jeudi ont cinq jours pour faire appel.