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Libération
Répression

Rwanda : après la mort de John Ntwali, journaliste indépendant critique du pouvoir, les doutes persistent

L’enquête «Rwanda Classified», publiée ce mardi 28 mai par «le Monde» et 17 autres médias, dévoile la répression menée par les autorités rwandaises contre les opposants au président Paul Kagame, dont des journalistes. Les circonstances de la mort du reporter indépendant John Ntwali, opposant au régime, en janvier 2023, restent suspectes.
Durant sa carrière, le journaliste indépendant John Ntwali était devenu une personne honnie du pouvoir. (Capture d'écran X)
publié le 29 mai 2024 à 19h53

Au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, le Rwanda figure sur la 144e place, sur un total de 180. En cause : la répression menée par le régime de Paul Kagame contre les opposants politiques, sur son sol comme à l’étranger, mais aussi contre ses journalistes. Le reporter John Williams Ntwali, mort en janvier 2023 à 43 ans, a été victime de cette mécanique du pouvoir, accuse ce mardi l’enquête «Rwanda Classified», coordonnée par le collectif Forbidden Stories avec 17 médias.

Selon une des nombreuses révélations de cette tentaculaire investigation sur le régime Kagame, la version officielle de la mort de Ntwali – rédacteur en chef du journal The Chronicles et connu pour ses enquêtes jugées dérangeantes pour le pouvoir –, celle d’un accident de la route, est entourée de zones d’ombre. Le rapport communiqué par la police, et que le Monde a pu consulter, précise que dans la nuit du 17 au 18 janvier 2023, John Ntwali est percuté par une voiture alors qu’il se trouvait à l’arrière d’une moto-taxi. Or cet accident n’aurait rien de banal selon l’un de ses anciens collègues, qui se confie sous couvert d’anonymat : «John m’avait dit qu’il avait peur. Il disait avoir reçu des menaces provenant des services de renseignements lui annonçant qu’il allait être assassiné : “On va te rouler dessus quand tu seras en moto.”» Forbidden Stories a interrogé d’autres de ses confrères et de ses proches, qui affirment que, jusqu’à quelques heures avant sa mort, le journaliste se disait en permanence suivi, et recevait des menaces au téléphone.

Par ailleurs, l’annonce officielle de son décès n’a lieu que le lendemain, le 19 janvier en fin de journée. «Ntwali n’avait aucune pièce d’identité sur lui», justifient les enquêteurs face à cette durée qui interroge, alors qu’une source citée par Forbidden Stories affirme avoir vu le journaliste en possession de sa carte d’identité juste avant sa mort. La localisation et l’heure précises des événements vont également fluctuer tout au long des déclarations officielles successives.

«Quand vous êtes journaliste indépendant, vous êtes candidat à la prison»

Le journaliste dérangeait-il le pouvoir en place ? Durant sa carrière, John Ntwali, avec ses articles sur les expulsions des habitants d’un bidonville ou le compte rendu de procès de journalistes condamnés par le pouvoir, était en effet devenu une personne honnie du pouvoir. «La voix des sans-voix», relate même le journal la Libre Afrique. Comme le rapporte le collectif à l’origine de Rwanda Classified, le journaliste avait également documenté en août 2021 la répression subie par Paul Rusesabagina – héros du film Hôtel Rwanda (2004) et connu pour avoir sauvé plus des centaines de Tutsis lors du génocide en 1994 – devenu un farouche opposant au président Kagame. Pour cette enquête, qui a laissé un goût amer aux autorités, le journaliste reçoit des nombreuses menaces.

Aussi, comme une prophétie annonciatrice, le journaliste s’était penché de près sur deux accidents de voiture suspects. Pour l’une de ses enquêtes concernant la mort de Assinapol Rwigara, riche homme d’affaires ayant financé le parti politique de Paul Kagame, il écope même de treize jours de prison, accusé de «viol sur mineure». Il est rapidement libéré, «renforçant la thèse d’un coup monté contre ce détracteur du pouvoir en place», relate Reporters sans frontières auprès de Forbidden Stories.

«Dans les mois précédant sa mort, il nous a dit qu’il recevait la visite des services de sécurité et des appels téléphoniques le menaçant, lui disant de se plier à la ligne et d’arrêter ses reportages critiques», assène Clémentine de Montjoye, chercheuse à Human Rights Watch interrogée par le Monde. Avant sa mort, John Williams Ntwali avait lui-même évoqué ce climat de peur auprès de la Libre Afrique, en décembre 2021 : «Quand vous êtes journaliste indépendant [au Rwanda], au vrai sens du terme, vous êtes candidat à la prison.»