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Islamisme

Somalie : pour repousser les shebab, le Président mobilise des milices villageoises

Les forces fédérales ont repris la ville stratégique d’Harardhere, lundi, dans le cadre d’une offensive lancée il y a cinq mois en s’appuyant sur des groupes de civils armés.
Le président Hassan Cheikh Mohamoud à Mogadiscio, le 12 janvier. (Feisal Omar/Reuters)
publié le 18 janvier 2023 à 9h15

Coup pour coup. Lundi, l’armée somalienne a repris aux islamistes radicaux shebab le contrôle d’Harardhere, une ville portuaire stratégique située à 500 kilomètres au nord de la capitale, Mogadiscio, qu’ils occupaient depuis près de quinze ans. «C’est une victoire historique des braves membres des forces armées nationales», a triomphé le Premier ministre somalien, promettant que «2023 sera l’année de la liberté et de l’éradication des shebab». Le lendemain, les insurgés ont attaqué la base militaire de Hawadley, à 60 kilomètres de Mogadiscio. «Les jihadistes ont d’abord fait exploser un véhicule chargé d’explosifs», a raconté le commandant d’une milice progouvernementale à l’Agence France Presse. Il affirme que 11 soldats ont été tués dans l’assaut.

Prise de dizaines de localités

La séquence résume la dynamique sécuritaire à l’œuvre en Somalie depuis septembre. Le président Hassan Cheikh Mohamoud, revenu au pouvoir en mai 2022, a promis une «guerre totale» contre les shebab, qu’il a récemment qualifiée de «punaises de lit». Ces derniers mois, l’armée nationale et ses alliés – locaux et étrangers – gagnent du terrain sur les insurgés. Chassée des principales villes du pays en 2011-2012, l’organisation islamiste contrôle de vastes zones rurales autour de la capitale dans le centre et le sud du pays. Elle répond par des attentats (le 29 octobre, deux voitures piégées ont fait 121 morts et 333 blessés à Mogadiscio) et des attaques spectaculaires comme celle de mardi.

Pour mener sa reconquête, le président Hassan Cheikh Mohamoud, qui a hérité d’une armée fédérale profondément divisée, s’est appuyé sur les macawisley, des milices claniques formées à l’échelle des villages pour défendre leur territoire. Leur nom est dérivé du terme macawis, le sarong traditionnel porté par ces paysans combattants. «A cause de la sécheresse terrible de cette année, les villageois ont refusé de payer les taxes exigées par les shebab, explique le spécialiste de l’Afrique de l’Est Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS. Le gouvernement a sauté sur l’occasion pour les mobiliser. Il a fourni de l’argent et surtout des munitions aux macawisley. Hassan Cheikh Mohamoud a commencé dans les régions où il est fort, avec son propre clan par exemple, pour inciter les autres clans à rentrer en guerre à leur tour.» Avec un succès certain dans certains Etats du centre du pays, comme Galmudug et Hirshabelle, où les macawisley, appuyés par les soldats somaliens, se sont emparés de dizaines de localités jusque-là administrées par les shebab. Les villageois fournissent notamment un précieux apport en matière de renseignement.

«Source d’insécurité»

«Leur rôle central dans la lutte contre les shebab est à double tranchant, mettait en garde, en 2020, l’experte américaine Vanda Felbab-Brown, de la Brookings Institution. Les milices progouvernementales aident à compenser les faiblesses des forces de sécurité, procurent une plus grande motivation et de meilleurs renseignements, renforcent les liens avec les communautés locales et permettent même parfois de réduire les violences intraclaniques. Mais ces groupes sont aussi une source d’insécurité, de contestation violente, de gouvernance abusive, d’impunité et de manipulation par des acteurs extérieurs.»

Leur rôle ne doit cependant pas être surestimé, nuance Roland Marchal. «Les macawisley ont été importants au début de l’offensive, en août, mais ces derniers temps, elle est surtout portée par les forces spéciales Danab formées par l’armée américaine et les commandos Gorgor entraînés par les Turcs. Les drones turcs et américains, très actifs, jouent également un rôle majeur pour entraver la mobilité des shebab.» Les islamistes somaliens ont toutefois prouvé par le passé leur résilience. Ils sont capables de se replier, évitant parfois les combats, pour revenir plusieurs mois plus tard, en capitalisant localement sur les problèmes de gouvernance. «C’est une chose de libérer une zone, c’en est une autre de l’administrer. Est-ce que le vide peut-être rempli ? questionne le chercheur. Le vrai problème est politique. Les shebab sont une organisation sérieuse, ils sont structurés, ils répondent à une certaine demande de la population. L’Etat central somalien, les autorités régionales, l’armée, avec toutes leurs mauvaises habitudes, seront-ils plus ou moins acceptés que les shebab ?»

Au sud-ouest, dans l’Etat du Jubaland, leur bastion, les insurgés ne sont pas encore inquiétés. Mais la pression s’accentue. Le chef de l’Etat refuse pour l’instant de négocier avec les shebab. Il pourrait cependant s’y résoudre une fois le rapport de force établi en sa faveur. «Nous le ferons, au bon moment», a-t-il affirmé cet été. En attendant, les succès militaires enregistrés par l’armée renforcent son pouvoir vis-à-vis des Etats fédérés, éternels perturbateurs – voire adversaires – du pouvoir central en Somalie. Hassan Cheikh Mohamoud a annoncé que de nouveaux contingents de soldats somaliens, entraînés en Erythrée, seraient déployés prochainement dans le cadre des opérations anti-shebab.