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Soudan : les paramilitaires du général Hemetti font main basse sur El-Geneina, ville martyre du Darfour

Guerre civile au Soudandossier
Les Forces de soutien rapide et leurs alliés des milices arabes se sont emparés samedi 04 novembre de la base de l’armée régulière. Cinq mois plus tôt, ils avaient déjà commis un massacre dans la ville.
Le 4 novembre, les paramilitaires des Forces de soutien rapide ont revendiqué la prise du quartier général de la 15e division de l’armée soudanaise. A El-Geneina (Soudan), le 16 juin. (AFP)
publié le 9 novembre 2023 à 19h16

Les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) étendent inexorablement leur contrôle sur le Darfour. Samedi 4 novembre, ils ont revendiqué la prise du quartier général de la 15e division de l’armée soudanaise, à El-Geneina, la grande ville du Darfour-Occidental. Sept mois de guerre entre les FSR, une armée dans l’armée au service du général Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemetti, et les troupes régulières aux ordres du général Abdel Fattah al-Burhan, qui s’est emparé du pouvoir par la force en octobre 2021, ont dévasté des pans entiers du Soudan. En particulier sa capitale, Khartoum, où les affrontements font rage sans discontinuer depuis le 15 avril, et la vaste région du Darfour, dans l’Ouest.

Sur ces deux théâtres d’opérations, les hommes de Hemetti gagnent du terrain. Après avoir chassé les soldats soudanais des capitales régionales de Nyala (Sud-Darfour) et de Zalingei (Darfour central) fin octobre, les FSR ont tourné leurs forces vers El-Geneina. La ville était en réalité déjà largement sous leur contrôle depuis cet été. A la mi-juin, les paramilitaires et leurs alliés des milices arabes avaient affronté l’armée régulière, assassiné le gouverneur du Darfour-Occidental Khamis Abakar (un ancien leader rebelle), et commis dans la foulée un massacre de civils de grande ampleur, rappelant les pires heures de la tragédie du Darfour. Les membres de la communauté masalit, en particulier, ont été délibérément ciblés. Cette entreprise de nettoyage ethnique aurait fait près de 3 000 morts, selon le décompte d’une ONG locale.

Youyous et coups de feu

La 15e division de l’armée régulière s’était repliée dans sa base, au nord-est d’El-Geneina, en surplomb de la ville. Les soldats n’en sortaient plus guère, mais ils protégeaient l’accès au quartier d’Ardamata, situé juste derrière. Des milliers de familles masalit, fuyant les persécutions, s’y étaient réfugiées. Des combattants masalit aussi, dont certains appartiennent à l’Armée de libération du Soudan, un groupe rebelle allié au gouvernement. Ces dernières semaines, les FSR et leurs supplétifs, les miliciens de tribus arabes, ont lancé un ultimatum aux militaires – exigeant leur reddition – avant de lancer l’assaut début novembre. Quarante-huit heures de combats ont suffi aux assaillants pour s’emparer de la garnison. Des films des membres des FSR exultant, poussant des youyous et tirant des coups de feu en l’air, ont rapidement circulé.

Les troupes régulières, conscientes de leur infériorité, ont finalement abandonné la ville : un convoi d’une cinquantaine de véhicules a rejoint la ville de Kulbus, environ 120 kilomètres plus au nord, avant de franchir la frontière tchadienne. «Entre 600 et 700 soldats soudanais» ont pu s’y réfugier, selon une source sécuritaire. Désarmés à leur entrée sur le territoire tchadien, ils sont désormais cantonnés dans un camp militaire. Plusieurs centaines de soldats ont été faits prisonniers à El-Geneina, comme en témoignent plusieurs vidéos.

Crimes de masse

Laissé sans défense, le quartier d’Ardamata aurait subi la fureur vengeresse des FSR et des miliciens arabes. Une vidéo montrant des dizaines de jeunes hommes masalit, regroupés, humiliés, fouettés et terrorisés par des paramilitaires, circule sur les réseaux sociaux. Ils n’ont pas reparu depuis. Leur sort restait inconnu jeudi soir. La probabilité que des exécutions sommaires aient été commises est élevée. A la mi-juin, déjà, des crimes de masse avaient été perpétrés par les hommes de Hemetti, documentés par plusieurs organisations internationales de défense des droits de l’homme. En septembre, Libération avait recueilli des dizaines de témoignages de victimes dans les camps de réfugiés, décrivant les exactions répétées des FSR à El-Geneina. Cette fois-ci, leur ampleur n’est pas encore connue.

Le chef local des FSR, Abdul Rahman Juma, est toujours aux commandes. Il est tenu pour responsable du meurtre du gouverneur du Darfour-Occidental et a été placé sous sanctions par Washington le 6 septembre, pour «son implication dans des violations flagrantes des droits humains». Le numéro 2 des FSR, Abderrahim Daglo, frère de Hemetti, est également visible dans une vidéo tournée ces jours-ci à El-Geneina. Ce jeudi, l’ambassade américaine au Soudan s’est dite «profondément inquiète des témoignages faisant état de graves violations des droits de l’homme commises par les FSR et les milices affiliées, notamment des meurtres à Ardamata, le ciblage ethnique des chefs et des membres de la communauté masalit».

Défi humanitaire

En trois jours, environ 7 000 habitants d’El-Geneina ont gagné Adré, la ville tchadienne la plus proche. Depuis le début de la guerre, un demi-million de Soudanais se sont réfugiés au Tchad. Leur accueil représente un défi humanitaire immense pour les autorités locales et les ONG, débordées.

La dernière grande ville du Darfour à échapper à la domination des FSR est El-Fasher (Darfour-Nord). Tous les regards se tournent désormais vers cette ville clé. C’est là que la rébellion du Darfour avait éclaté, il y a vingt ans, contre le régime militaro-islamiste d’Omar el-Béchir. Le dictateur soudanais avait à l’époque armé et manipulé des milices arabes locales, les redoutés Janjawids, pour écraser l’insurrection. Sous la houlette de leur «émir» Hemetti, ces paramilitaires, régularisés lors de la création des FSR, en 2013, sont aujourd’hui en passe de prendre le contrôle total de la région, où vivent un quart des 48 millions de Soudanais. Dans le sang et la terreur, ainsi qu’ils ont été formés.