Menu
Libération
Profil

Tunisie : Kaïs Saïed, l’atypique populiste

En suspendant le Parlement et en limogeant son Premier ministre, le chef de l’Etat tunisien entend «sauver la Tunisie» de la crise multiforme qu’elle subit. Un discours populiste qui avait déjà séduit lors de l’élection surprise de ce personnage atypique, en 2019.
A la télévision, le 25 juillet, le président tunisien Kaïs Saïed a annoncé suspendre le Parlement et limoger son Premier ministre, après une journée de manifestations à travers le pays. (Mohamed Hammi/Mohamed Hammi)
publié le 26 juillet 2021 à 20h28

«Sauver la Tunisie». C’est ainsi que Kaïs Saïed a justifié sa décision de s’octroyer le pouvoir exécutif, dimanche, à l’issue d’une réunion d’urgence au palais de Carthage. L’annonce a provoqué des scènes de liesse dans les rues de Tunis, en dépit du couvre-feu instauré pour freiner la pandémie. Depuis plusieurs semaines, la population est exaspérée par les luttes de pouvoir au sommet de l’Etat et la gestion chaotique de la crise du covid-19, qui a plongé le pays dans la catastrophe sanitaire. «Kaïs Saïed montre ainsi qu’il répond à une demande populaire en désignant des ennemis responsables de la mauvaise gestion de la crise sanitaire. Il joue une nouvelle fois la carte du populisme», analyse Khadija Mohsen-Finan, politologue et autrice du livre Tunisie, l’apprentissage de la démocratie : 2011-2021.

«Ovni politique»

Rendre le pouvoir au peuple, c’est ce qu’avait promis le candidat sans étiquette et peu connu du grand public avant sa victoire écrasante (plus de 72 % des voix) à l’élection présidentielle d’octobre 2019. Tout au long de sa campagne, le juriste constitutionnaliste de 61 ans fonde son discours sur le rejet des élites et promet de répondre aux revendications du peuple, restées sans réponse depuis la révolution de 2011.

Sa campagne menée avec seulement 4 000 euros, loin des projecteurs, porte ses fruits chez la jeunesse : neuf sur dix votent pour le candidat. «Tout le monde se souvient de lui, en train de boire son expresso, une cigarette à la main, sillonnant les cafés des villages du pays», se rappelle Yasmine Gmar, ancienne étudiante en droit de Kaïs Saïed. La jeune femme, désormais installée en France, se souvient d’un professeur à l’allure stoïque mais apprécié de ses élèves : «Il y avait un clan de professeurs assez proches du pouvoir mais lui ne faisait partie d’aucun groupe, et il en était fier. Impossible de savoir s’il était de gauche ou de droite… Un véritable ovni politique !»

L’homme aux traits figés et à la démarche rigide est décrit comme un personnage atypique, réputé à la fois austère et impartial. D’une part, il pratique un discours conservateur sur les questions de société, farouchement opposé à la dépénalisation de l’homosexualité ou à l’égalité entre les femmes et les hommes en matière d’héritage. De l’autre, il entend refonder le lien entre l’État et le peuple, vantant les mérites d’une démocratie participative. «Il est conservateur sans être islamiste, populiste sans être démagogue… Il ne rentre dans aucune case», estime Khadija Mohsen-Finan.

Tendances autoritaires

Mais deux ans après son élection, Kaïs Saïed a bien du mal à tenir ses promesses. Covid-19, violences policières… La Tunisie subit de plein fouet une crise protéiforme, exacerbée depuis plusieurs mois par la rivalité entre la présidence et le chef du gouvernement. D’autant que les détracteurs du chef de l’Etat lui reprochent des tendances de plus en plus «autoritaires». En avril, Kaïs Saïed avait déjà suscité la polémique en estimant être le commandant suprême de toutes les forces militaires, y compris civiles.

Ce nouveau coup de théâtre permettra-t-il à la jeune démocratie de sortir de l’incertitude ? «Ce qui est sûr, c’est que le président sort la Tunisie de l’immobilisme», explique Khadija Mohsen-Finan. Reste à savoir quelle feuille de route celui qui fait désormais cavalier seul mettra en œuvre pour résoudre une crise sans précédent.