Des bombes larguées par l’armée nigérienne ont tué des civils dans l’ouest du pays, près de la frontière du Burkina Faso, vendredi 5 janvier. Dès le lendemain du drame, le régime militaire du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) a reconnu, dans un communiqué lu à la télévision nationale, qu’«au cours d’un ratissage dans le secteur, une patrouille a découvert sur les lieux de la frappe des victimes civiles». Sans toutefois préciser leur nombre. D’après le récit fait par l’armée, les soldats nigériens auraient «énergiquement repoussé une attaque terroriste» visant un poste militaire à Tyawa, dans la région de Tillabéri, vendredi vers 19 heures. La nuit était déjà tombée lorsque «des frappes aériennes» auraient ensuite été menées, à 20 h 30, contre «une deuxième colonne de GAT [groupe armé terroriste, ndlr] à motos et véhicules» qui se dirigeait vers la même position militaire.
Le village de Tyawa est situé à 120 kilomètres de la capitale, Niamey, et à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau du territoire burkinabè, le long de la rivière Sirba. Comme souvent au Sahel, la frontière, en pleine brousse, n’est pas matérialisée. Les insurgés islamistes armés du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim, selon l’acronyme de l’organisation en arabe) la franchissent sans encombre, se déplaçant d’un pays à l’autre au gré de leurs campagnes de collecte de la zaqat (taxe islamique), de leurs opérations d’intimidation et des manœuvres d’évitement des armées nationales ennemies. Le secteur est sous l’influence de la katiba Hanifa, la branche locale du Jnim.
Chercheurs d’or
«Ils sont très actifs dans cette zone, témoigne un ressortissant de la région. Ils se sont installés massivement et menacent les villages. Si les habitants refusent de payer la zaqat, ils s’exposent à des attaques en représailles.» Les autorités ont interdit la circulation des motos – le moyen de transport privilégié par les jihadistes – et même, à certaines heures, des personnes. Plusieurs localités ont été complètement abandonnées depuis l’implantation de la katiba Hanifa, il y a sept ans. Ces dernières semaines, autour de Tyawa, les insurgés avaient «ordonné aux gens de quitter les lieux», indique la même source. Possiblement en prévision de l’attaque du poste militaire.
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La zone compte également plusieurs sites d’orpaillage. Les chercheurs d’or artisanaux sont eux aussi soumis au racket des insurgés. C’est précisément l’un de leurs camps, celui de Garé Garé, tout près de Tyawa, qui aurait été touché par les bombardements de l’armée nigérienne vendredi soir. «Les terroristes se mélangent avec les civils, ajoute le ressortissant de la région. Par erreur, de nuit, l’armée les a sans doute confondus.» Selon une radio locale, les frappes auraient fait 46 morts, dont 31 combattants jihadistes. Au moins 15 victimes seraient donc des civils, dont des femmes et des enfants. Un habitant de Tyawa évoque pour sa part 37 personnes tuées dans deux frappes successives à Garé Garé, puis 8 autres décédées des suites de leurs blessures à Gothèye, la ville la plus proche, et à Niamey, où elles avaient été évacuées.
Drones ou avions
La bavure fait écho à un autre bombardement meurtrier de l’armée nigérienne, le 24 octobre 2022, sur le site minier de Tamou, dans le sud-ouest. Deux mois après l’incident, la Commission nationale des droits de l’homme avait conclu que «les frappes aériennes sur un dépôt d’arme de groupes terroristes non loin du site d’orpaillage de Tamou ont occasionné la mort de 11 personnes». Le mouvement d’opposition M62, engagé dans une campagne antigouvernementale, avait à l’époque rejeté les conclusions de l’enquête, et tenté de mener sa propre investigation sur la tragédie de Tamou. Elle avait valu à son coordinateur, Abdoulaye Seydou, un séjour en prison.
Le M62 est aujourd’hui un fervent supporteur de la junte militaire au pouvoir depuis le coup d’Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum, cet été. Il «déplore l’incident malheureux» de Tyawa et «présente ses condoléances les plus éplorées aux familles éplorées des victimes», dans un communiqué. Mais le collectif «encourage et félicite le CNSP pour cette marque de transparence, contrairement au régime déchu» et «félicite l’ensemble des forces de défense et de sécurité et la haute hiérarchie militaire pour les succès notables enregistrés dans la lutte contre le terrorisme»… Moussa Tchangari, inlassable défenseur des droits de l’homme et secrétaire général de l’ONG Alternative espaces citoyens, a au contraire publiquement demandé des «sanctions» pour les responsables de la «grave bavure» de Tyawa.
A #Tiawa, dans la région de #Tillabery au #Niger, des frappes aériennes de l’armée ont fait des morts parmi la population civile. Le communiqué de la junte, qui en fait cas, ne précise pas le nombre ; mais, il s’agit clairement d’une grave bavure qui mérite des sanctions.
— Moussa Tchangari (@tchangari) January 7, 2024
L’armée n’a pas précisé si les bombes ont été tirées par des avions ou par des drones. Elle dispose des deux capacités. Sa flotte compte deux avions d’attaque Su-25, ainsi que des hélicoptères de combat. Mais vendredi, les habitants de Tyawa n’ont pas entendu le bruit caractéristique des pales d’un hélicoptère. Niamey a également fait l’acquisition d’au moins six drones turcs TB2 – surnommés Bayraktar et popularisés pendant la guerre en Ukraine – en 2022. Une arme maniable, bon marché et adaptée au terrain sahélien, de plus en plus utilisée par les armées de la région dans leurs guerres contre-insurrectionnelles. Au risque de multiplier les bavures.