L’homme aux cheveux blancs est assis au sommet de la dune, entre les pyramides. Depuis son poste d’observation venteux, il détecte les visiteurs à plusieurs kilomètres à la ronde. Pourtant, depuis vingt mois, Abdelmadjid Ali, 46 ans, ne voit plus personne. La guerre civile a privé le gardien de la nécropole antique de Méroé de compagnie humaine. Il reste seul avec les bas-reliefs du roi Tantamani, dernier souverain de la dynastie des pharaons noirs – qui régnèrent sur l’empire koushite aux huitième et septième siècles avant l’ère chrétienne.
Reportage
Chaque jour, Abdelmadjid Ali marche de son village jusqu’au site antique d’Al-Bagrawiya. Une quinzaine de pyramides dressées en plein désert, joyaux de l’architecture nubienne bâtis entre 290 avant J.-C. et l’an 350. Ses enfants ne l’accompagnent pas, «à cause des serpents», dit-il. Le sable ensevelit doucement la guérite officielle où les visiteurs achetaient leurs tickets. Au loin, on distingue la route asphaltée menant à Khartoum, 220 kilomètres plus au sud. Le gardien solitaire continue de toucher son salaire de 30 000 pounds soudanais (50 euros) par mois. Chétif fantôme veillant sur les tombes royales. Les pourboires des touristes lui manquent, bien entendu. Aux premiers jours du conflit, «trois voitures des Forces de soutien rapide [RSF, une unité paramilitaire dissidente entrée en guerre contre l’armée] sont venues, ont inspecté les lieux et sont reparties, dit Abdelmadjid Ali. Ils ne sont jamais revenus.»