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Ventes et reventes de pétrole brut ou raffiné, rétrocommissions en cash : décryptage des soupçons d’un système de corruption

Affaire Orion Oil : où est passé l'argent du pétrole congolais ?dossier
Intermédiaire à l’utilité questionnable entre la Société nationale des pétroles congolais et les mastodontes du secteur tels Shell ou Total, Orion Oil est soupçonné d’avoir prélevé de l’argent sur les transactions pour arroser des dignitaires du régime congolais, dont le président Sassou-Nguesso.
(Julien Guillot)
publié le 11 janvier 2023 à 18h02

Libération révèle les soupçons de détournement des recettes du pétrole congolais, de Paris à Brazzaville en passant par la Suisse et Monaco. En cause, la société Orion Oil et son patron Lucien Ebata, proche du président Denis Sassou-Nguesso et aux multiples relations avec des personnalités économiques et politiques françaises. Retrouvez tous nos articles ici.

En tirant patiemment les fils pour déchiffrer les flux financiers autour d’Orion Oil, la société de Lucien Ebata, les agents du Service d’enquêtes judiciaires des finances (1) ont mis au jour ce qui ressemble à un exemple élaboré de corruption internationale. Lucien Ebata, 53 ans, personnage de pouvoir et d’influence, est mis en examen depuis l’automne 2021 dans cette affaire, notamment pour des faits de blanchiment et de manquement à l’obligation de déclaration de transfert de capitaux. Il est présumé innocent.

Orion Oil agit comme courtier sur le marché du pétrole entre les producteurs et les distributeurs. Elle a la particularité d’avoir eu pendant une décennie un fournisseur et client quasi unique : la Société nationale des pétroles congolais (SNPC). Cette compagnie publique de la république du Congo, qui possède la trentaine de champs pétroliers du pays, est, de fait, à la main de Denis Sassou-Nguesso, le chef de l’Etat congolais.

«Jeu de facturation»

Orion Oil revend une partie de la production pétrolière de la SNPC aux grandes majors énergétiques exploitantes comme Shell. Au passage, elle empoche une marge s’établissant entre 0,77 % et 8,62 % selon les cas. Mais pour quelle plus-value opérationnelle ? Les enquêteurs ont des doutes sur l’utilité concrète d’Orion : leur analyse du système de facturation révèle qu’il n’y a aucun décalage dans le temps entre les ventes de la SNPC à Orion et celles de cette dernière à ses propres clients, en 2013, 2014 et 2015. Comme si les activités de l’une et de l’autre se confondaient.

Le Service d’enquêtes judiciaires des finances en tire une conclusion limpide dans un rapport de synthèse du 27 septembre 2019 : l’activité d’Orion se résume dans ces cas à un «jeu de facturation» sans «justification économique». L’entreprise de Lucien Ebata gagne aussi beaucoup d’argent lorsqu’elle revend des produits raffinés à la SNPC, appliquant des marges énormes, de 35 % à 61 % selon les cas. «Une surfacturation aux dépens de l’entreprise d’Etat», concluent les douaniers.

Prélever une dîme

En résumé, Orion est soupçonnée d’être une société écran permettant de prélever une dîme sur le commerce bien réel du pétrole congolais et de la redistribuer, sous différentes formes, aux dirigeants et notables du Congo. Une sorte de caisse noire dans laquelle les officiels puisent à loisir, même pour des dépenses courantes – paiements de chauffeurs, visas de quelques centaines d’euros…

Contacté par Libération, Lucien Ebata a répondu par la voix de son avocat, Me Antoine Vey : «M. Ebata dément fermement l’existence de quelconque “rétrocommission”. Il s’agit d’une thèse qui a été artificiellement alimentée à partir de notes manuscrites prises par un ex-salarié du groupe de M. Ebata, et qui, curieusement, a depuis lors rejoint une entreprise concurrente.» Il fait ici référence à Ted T., le directeur financier d’Orion qui a quitté l’entreprise à l’été 2021. Sollicité, ce dernier n’a pas répondu. Egalement contactée, la présidence du Congo n’a pas souhaité réagir.

(1) Le Service national de douanes judiciaires (SNDJ) est devenu en 2019 le Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF).