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Libération
Catastrophe

Aide humanitaire: sous l’effet des crises climatique et sanitaire, des besoins en hausse et des financements en rade

Alors que le nombre de sinistrés va croissant, l’ONU et les ONG alertent sur le manque de dons pour leurs programmes de soutien.
Dans un camp de déplacés, en Somalie, au mois d'avril. (Yasuyoshi Chiba/AFP)
publié le 30 août 2022 à 19h21

Dès son avant-propos, le rapport de prévision de l’ONU sur l’«Aperçu humanitaire mondial 2022» donne des perspectives «sombres». «Les besoins humanitaires ont continué de croître, sous l’effet des conflits, de la crise climatique et des maladies, y déplore Martin Griffiths, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence de l’Ocha, le bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. Les enfants, en particulier les filles, sont privés d’éducation. Les droits des femmes sont menacés. De multiples famines se profilent.» Aujourd’hui, il manque 41 milliards de dollars (41 milliards d’euros) à l’ONU et à ses organisations partenaires pour venir en aide aux populations ciblées. En Afghanistan par exemple, l’ONG International Rescue Committee a lancé l’alerte à la mi-août : 95% des foyers ne peuvent manger à leur faim et l’aide humanitaire ne suffit pas. Alors que leurs besoins ont doublé en quatre ans, les ONG sont fortement touchées par le manque de financements.

Risque de famine dans 43 pays

Selon les prévisions de l’Ocha, 274 millions de personnes auront besoin d’assistance et de protection humanitaire en 2022, soit environ 40 millions de plus qu’en 2021. Du jamais vu. L’année dernière, leur nombre était déjà «le plus élevé depuis des décennies». Ces chiffres découlent, entre autres, du déficit chronique de l’aide humanitaire. Même les situations dites «d’urgence» ont bénéficié de moins de la moitié du financement nécessaire en 2021. «Jusqu’à 811 millions de personnes sont malnourries dans le monde, indique le document de l’ONU. Des conditions proches de la famine sont une possibilité réelle et terrifiante dans 43 pays du monde. Sans une action soutenue et immédiate, l’année 2022 pourrait être catastrophique.»

Et la situation s’aggrave, comme le montrent les inondations d’ampleur au Pakistan. Dans la Corne de l’Afrique, la sécheresse qui sévit n’avait pas atteint une telle ampleur depuis plus de quarante ans. Le bétail est victime de déshydratation et meurt, les récoltes sont mauvaises. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a donc décidé d’étendre son aide dans la région et s’alarme d’un risque de famine grandissant au Kenya, en Somalie et en Ethiopie. Les chiffres ont explosé : au début de l’année, le PAM cherchait des fonds pour 13 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique. Mi-2022, l’organisation en comptait 20 millions ; il faudrait 418 millions de dollars (419 millions d’euros) pour les aider.

«Nous sommes au bord d’un gouffre»

«Il n’y a toujours pas de fin en vue à cette crise de la sécheresse, prévenait David Beasley, directeur exécutif du PAM, dans un communiqué le 19 août. Le monde doit agir maintenant pour protéger les communautés les plus vulnérables de la menace d’une famine généralisée dans la Corne de l’Afrique.» En juin, 89% des habitants du Tigré (Ethiopie) étaient en insécurité alimentaire et 47% en insécurité alimentaire grave, d’après le PAM. Le territoire, marqué par la guerre, n’a vu le retour des convois humanitaires qu’en avril, après trois mois d’interruption. La demande est forte et le prix des céréales y est de 70% à 300% plus élevé que dans les pays voisins. «Les carences alimentaires devraient persister jusqu’en novembre [date de la prochaine récolte, ndlr]», estime l’agence.

Forcées de faire avec les moyens du bord, les ONG s’agacent de ce déficit général. «Nous sommes au bord d’un gouffre. Et nous allons dans la mauvaise direction. Le monde doit se réveiller», s’alarmait António Guterres, secrétaire général des Nations unies lors de l’assemblée générale de l’organisation en 2021. La France, par exemple, n’est que 23e dans la liste des contributeurs du PAM sur cinq ans, derrière la Russie et la Chine. Des solutions existent pourtant. Ashwini Kakkar et Pierre Micheletti, d’Action contre la faim, exposaient dans Libération le 22 août la nécessité d’établir des mesures contraignantes, basées sur un pourcentage du revenu national brut.

Pour l’Ukraine, la communauté internationale a montré son soutien très rapidement. Des millions ont été levés par les banques, les pays, les particuliers ou les associations. Même Fortnite, célèbre jeu en ligne, a réussi à récolter 144 millions de dollars (144 millions d’euros) pour la cause ukrainienne. Ashwini Kakkar et Pierre Micheletti fustigent cette «incapacité» à aider, quand la somme ne «représente que 10% du chiffre d’affaires annuel d’une compagnie privée comme Amazon», écrivent-ils. Les 41 milliards de dollars n’ont jamais semblé si lointains. L’ONU, avec son objectif «faim zéro», en 2011, l’assurait déjà : le monde n’est «pas sur la bonne voie».