C’est un titre à l’allure de panégyrique qu’a d’abord choisi le quotidien américain New York Times : «L’acteur français intense et intensément beau qui, travaillant avec certains des réalisateurs européens les plus vénérés du XXe siècle, jouait les gangsters corses froids de manière aussi convaincante que les amoureux italiens torrides, est décédé. Il avait 88 ans.» «Hypnotique et magnifique, Alain Delon était l’une des stars les plus mystérieuses du cinéma», salue son confrère britannique The Guardian, à la fois plus sobre et extatique. «Le dernier grand mythe du cinéma français est mort», scande quant à lui le quotidien de Genève le Temps.
Disparition
La «gueule» Delon, magnétique, insondable, est incontournable dans la presse étrangère. Une «Brigitte Bardot masculine» selon The Hollywood Reporter, quand le New York Times exhume la mention d’une de ses journalistes lors d’une rétrospective dédiée à Alain Delon en avril à Manhattan : sa «beauté a longtemps inspiré des paroxysmes de ravissement». Un charme ambigu, à lire le quotidien italien Corriere della Sera, qui le caractérise à la fois de «sex-symbole» et d’être «beau et damné, canaille et félin, coureur de jupons et rebelle, marqué par une adolescence difficile». «D’une beauté inquiétante, l’acteur exprime une troublante intensité que tempèrent la douceur de la voix et une touche de mélancolie, forcément liée à cette blessure d’enfance incicatrisable : avoir été abandonné par ses parents», résume quant à lui le Temps.
«Jagger était très jaloux»
«Il était l’une des plus belles stars masculines – peut-être la plus belle – de l’histoire du cinéma», tranche le Guardian, qui décrit une célèbre photographie de 1967. Elle campe, assis sur un canapé, Alain Delon, Marianne Faithfull, et Mick Jagger. «Faithfull se penche intimement sur Delon qui lui murmure des mots, elle rit, illuminée par sa présence, son langage corporel se fondant entièrement dans le sien. Jagger ne peut que regarder sa cigarette d’un air inquiet. Plus tard, Faithfull dira que Delon ne lui plaisait pas du tout, mais confirmera que Jagger était très jaloux.» Le quotidien, dithyrambique, évoque un «charisme introuvable» et «très différent de la beauté hollywoodienne plus franche de Paul Newman ou de Robert Redford».
Boudé par les Césars, Delon semblait pouvoir tout jouer. Le «jeune frère aux yeux tristes» dans Rocco et ses frères (1960), le «trader sexy» dans l’Eclipse (1962), l’«assassin désinvolte» dans la Piscine (1968), le «sinistre ex-détenu moustachu» dans le Cercle rouge (1970), le «parrain du crime marseillais» dans Borsalino (1970), l’«aristocrate gay et sensuel» dans Un Amour de Swann (1984), énumère le New York Times.
«Séduction féline de son regard»
Deux films retiennent l’attention de la presse étrangère : Plein Soleil (1960) de René Clément et Monsieur Klein (1976) de Joseph Losey. S’agissant du premier, le New York Times décrit une révélation : «Il a rappelé à de nombreux cinéphiles James Dean, la jeune idole du cinéma américain décédée cinq ans plus tôt.» Delon y joue un sociopathe, Ripley, qui usurpe l’identité d’un homme qu’il envie après l’avoir tué. Un film qui «l’impose», selon le Corriere della Sera. Outre «la séduction féline de son regard», Delon «avait le pouvoir magnétique de l’apparence et la turbulence de la vie privée offerte sur papier glacé, tout en étant doué d’une grande sensibilité».
Business
Quant à Monsieur Klein, histoire d’un marchand d’art qui profite des lois antijuives du régime de Vichy avant d’être lui-même englouti par le monstre nazi, il s’agit de son «chef-d’œuvre», selon le Temps et le Guardian. Produit par Alain Delon, le film a été présenté en compétition à Cannes, mais il a été battu par Taxi Driver de Martin Scorsese.
Idolâtré au Japon, sans percer à Hollywood
«Delon est devenu une star en France et a été idolâtré par les hommes et les femmes au Japon, mais n’a jamais réussi à s’imposer à Hollywood», relève le quotidien indien The Telegraph India. Pourtant, il y tenait selon le New York Times. Il s’installe aux Etats-Unis en 1964, signe des contrats avec la MGM et la Columbia, tourne six films. Mais ne réussit pas à percer outre-Atlantique. «Ses interprétations tendues et stoïques, souvent dans le rôle d’hommes séduisants en proie à des troubles intérieurs, étaient marquées par des explosions soudaines de violence et d’émotion, ainsi que par un ennui sous-jacent caractéristique des films français et italiens de l’époque de l’après-guerre», perçoit The Hollywood Reporter. Il rentre en France en 1967.
Il emporterait un peu d’Amérique avec lui, aux yeux du Telegraph India. «Avec ses yeux bleus saisissants, Delon était parfois surnommé le “Frank Sinatra français”, écrit-il. Une comparaison qu’il n’aimait pas. Contrairement à Sinatra, qui a toujours nié avoir des liens avec la mafia, Delon reconnaissait ouvertement ses copains louches dans le monde interlope.» Et de citer un extrait d’interview accordé au New York Times en 1970 : «La plupart des gangsters que je connais étaient mes amis avant que je ne devienne acteur. Je ne me préoccupe pas de ce que fait un ami.»
«Parties fines»
L’acteur passe à travers les mailles de la justice, quand, en plein tournage de la Piscine, son ancien garde du corps est assassiné et retrouvé dans une décharge publique, tout près de son domicile. «On évoque des parties fines auxquelles auraient participé Claude Pompidou, l’épouse du Premier ministre et futur président de la République, ainsi que l’acteur. Rien n’a été démontré, l’affaire est restée irrésolue et l’aura d’Alain Delon a gagné en mystère et noirceur», résume le Temps.
Ne craignant pas la controverse, assumant ses propos parfois racistes, misogynes ou homophobes, Alain Delon avait eu ces mots, cités par de nombreux médias étrangers, lors de la remise de la palme d’honneur à Cannes, en 2019 : «On n’est pas obligé d’être en accord avec moi. Mais il y a une chose au monde dont je suis sûr, dont je suis fier, vraiment, une seule, c’est ma carrière.»