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Libération
Elections américaines 2024

50 polars pour 50 Etats : Ma Dalton dans le Montana, des Sioux dans le Wyoming et des Ojibwés dans le Dakota du Nord

A l’occasion de la présidentielle 2024 aux Etats-Unis, «Libération» et la librairie le Comptoir des mots explorent le pays à travers 50 romans noirs. Cinq nouvelles étapes avec, notamment, James Crumley, Craig Johnson et Louise Erdrich.
par Christine Ferniot, Frédérique Roussel, Théodore Dillerin et Sabrina Champenois
publié le 28 octobre 2024 à 12h00

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Avec Théodore Dillerin de la librairie le Comptoir des mots, dans le XXe arrondissement de Paris, l’équipe de Libé Polar a constitué une liste de 50 polars couvrant les 50 Etats d’Amérique. A la veille d’une présidentielle cruciale pour l’avenir des Etats-Unis et de la planète, il nous a paru important de mettre en avant un genre qui permet aujourd’hui de mieux comprendre le monde. Cette liste de polars est forcément subjective, il nous a fallu faire des choix drastiques, mais l’ensemble raconte formidablement bien les fractures de la société américaine, le racisme toujours présent, la montée de la violence, les inégalités sociales mais aussi les paysages sublimes, les opportunités pour qui ose tenter sa chance. Le rêve américain en somme, ou ce qu’il en reste.

Idaho

Les paysages grandioses de Kimi Cunningham Grant

Kimi Cunningham Grant, autrice remarquée pour le Silence des repentis et les Rancœurs et la terre, nous entraîne, avec ce troisième roman, dans la nature sauvage de l’Idaho, Etat situé dans le nord-ouest des Etats-Unis. Emlyn est une jeune guide de montagne organisant des parties de pêche pour les riches Américains en quête de reconnexion avec la nature. Elle vit comme exilée au milieu de ces paysages aussi grandioses qu’inquiétants afin d’oublier un passé douloureux, s’intégrant du mieux qu’elle le peut aux gens du coin. Alors qu’elle parvient tout juste à se construire une vie plus ou moins équilibrée surgissent un ex-compagnon et une amie dont elle s’était éloignée, devenue depuis une star des réseaux sociaux. Partie en randonnée dans la région, celle-ci disparaît soudainement. Décidée à la retrouver, Emlyn nous embarque à ses côtés sur des sentiers sinueux et nous met en garde : «Les gens qui aiment croire que la nature n’est que beauté et harmonie se trompent. Il suffit d’y avoir passé assez de temps pour le savoir.» Se perdre ou disparaître, les deux verbes qui donnent son titre au roman vont alors prendre tout leur sens, tant sur le plan personnel et intime que sur le plan géographique. Kimi Cunningham Grant signe un roman à la frontière du thriller et du nature writing qui interroge la complexité des relations humaines. Th.D.

Kimi Cunningham Grant, Se perdre ou disparaître, traduit par Alice Delarbre, Buchet-Chastel, 2024, 496 pp., 24 €.

Montana

Les losers de James Crumley

Né au Texas, mort en 2008 dans le Montana, dans ce repaire de la littérature qu’est Missoula, James Crumley a toujours raconté l’Amérique des losers. Dans Folie douce, on retrouve Chauncey Wayne Sughrue, vétéran du Vietnam reconverti détective privé à queue-de-cheval spécialisé dans la recherche de personnes disparues et domicilié à Meriwether (bled du Montana, décalque de Missoula). Un ami psy cambriolé (et un gros chèque) le convainc d’accepter une enquête qui va le faire sillonner les Etats-Unis, franchir l’Atlantique, jusqu’à l’Ecosse. Dans son sillage, un déferlement de violence (du simple gnon au meurtre, en passant par le viol, la torture) et la mise au jour de parts d’ombre qui vont achever de plomber notre homme. Heureusement, C.W. ne s’éloigne jamais trop d’un bar ou d’un pack de bières, a toujours un joint à portée de main, voire des amphètes… Au total, un polar-western jalonné de morceaux de bravoure qui se jouent de la vraisemblance comme cet épisode nocturne dans une ferme reculée où, après avoir dessoudé quelques types, C.W. fait la connaissance d’une sorte de Ma Dalton en fauteuil roulant, ex-championne de taekwondo. Du Crumley vintage au panache d’affranchi, où la férocité n’interdit pas l’allégresse malgré le constat fondamentalement dépressif de l’affaire – «L’Amérique est un endroit génial, non ? On y achète de la dynamite aussi facilement que de la came, et, pour l’amorcer, il suffit de pétards et de minuteurs de cuisine.» S.Ch.

James Crumley, Folie douce, traduit par Jacques Mailhos, Gallmeister, 416 pp., 24,80 €.

Wyoming

Les Sioux de Craig Johnson

Voilà presque vingt ans que Craig Johnson met en scène le Wyoming, les montagnes et les plaines venteuses que son shérif Walt Longmire arpente dans son pick-up hors d’âge. Dès son premier roman, Little Bird, on a sympathisé avec ce flic qui prend son temps. Dans cette seizième enquête, le Dernier combat, Craig Johnson plonge ses lecteurs dans la dernière bataille du général Custer contre les Sioux durant la guerre des Black Hills, avec l’histoire du tableau de Cassily Adams intitulé Custer’s Last Fight. L’original aurait disparu dans un incendie et pourtant, le shérif se retrouve avec une toile qui pourrait bien s’apparenter à cette œuvre mythique. C’est l’occasion pour Craig Johnson de plonger dans la bataille de Little Bighorn en 1876, la défaite du général Custer et la grande histoire de l’Amérique. Mais le romancier ne nous impose pas une leçon officielle, il reste un auteur de polar qui dose les bagarres de saloon, les trafics en tout genre et les soirées au bistrot. Ch.F.

Craig Johnson, le Dernier combat, traduit par Sophie Aslanides, Gallmeister, 416 pp., 24,90 €.

Dakota du Sud

Les Amérindiens de David Heska Wanbli Weiden

«La police tribale devait rapporter tous les crimes aux enquêteurs fédéraux, qui allaient rarement jusqu’aux poursuites. Seules les affaires médiatisées ou les crimes violents méritaient qu’ils engagent une action en justice. Mais les agressions sexuelles classiques, les vols, les voies de fait étaient le plus souvent ignorés. Et les ordures le savaient. Les violeurs pouvaient s’en prendre aux Indiennes tant qu’ils le voulaient, du moment qu’ils opéraient en terre indienne. Quand le système judiciaire leur faisait défaut, les gens s’adressaient à moi. Pour quelques centaines de dollars, ils étaient un peu vengés. C’était ma contribution à la justice.» Dans la réserve indienne de Rosebud, dans le Dakota du Sud, là où l’État fédéral ne met pas son nez, Virgil Wounded Horse se fait payer pour délivrer la justice à la place d’une administration défaillante. Alors qu’une nouvelle drogue commence à faire des ravages dans sa communauté et atteint son propre neveu dont il a la garde, Virgil est bien décidé à remonter la filière et à punir les responsables. Lui-même issu de la tribu Lakota installée dans les réserves du Dakota, David Heska Wanbli Weiden entremêle ethnologie et intrigue policière. Il parvient à sonder avec beaucoup d’humanité ses personnages et relate la manière dont la drogue fait des ravages aux Etats-Unis, particulièrement dans les communautés amérindiennes. Justice indienne aborde aussi la question, sans caricature, des rites et des droits civiques des Amérindiens aux Etats-Unis. Un premier roman noir et social encensé par la critique et salué par Louise Erdrich et Craig Johnson. Th.D.

David Heska Wanbli Weiden, Justice indienne, traduit par Sophie Aslanides, Gallmeister/Totem, 2022, 384 pp., 10,80 €.

Dakota du Nord

Les Ojibwés de Louise Erdrich

La neige ne cesse de tomber en cet hiver 1912, et les Indiens Ojibwés meurent les uns après les autres de la famine quand ce n’est pas de «la maladie des taches venue du sud». Bientôt, la tribu clairsemée va devoir céder ses forêts et son lac, ce qui ne manquera pas de semer la zizanie parmi eux. Nanapush, un vieil Indien de ce clan éponyme, grand chasseur, s’y opposera jusqu’au bout. Il a sauvé Fleur toute jeune fille, la dernière des Pillager, quand sa famille a été tuée par la maladie. Pour empêcher qu’on ne prenne ses terres, Fleur reste dans la cabane familiale de Matchimanito au bord du lac. L’héroïne du nouveau roman de Louise Erdrich, prix Femina 2023 avec la Sentence, est cette belle indienne du clan Pillager, qu’on craint de courtiser : «Il était évident que Misshepeshu, l’homme du lac, le monstre des eaux, la voulait pour lui tout seul.» Vue comme dotée de pouvoirs et d’une personnalité intransigeante, elle a un courage et un sang froid extraordinaire ; personne ne s’y risquera à part Eli Kashpaw. C’est Nanapush qui relate l’histoire de Fleur à sa fille à elle, devenue sa petite-fille à lui, en alternance avec d’autres voix. On ne devine pas, si on ne le sait pas, que Louise Erdrich a tissé ensemble pour Comme des pas dans la neige deux romans écrits à vingt ans d’intervalle : un souffle de liberté et d’indépendance comparable à Dalva l’irrigue. F.R.

Louise Erdrich, Comme des pas dans la neige, traduit par Michel Lederer, Albin Michel «Terres d’Amérique», 480 pp., 23,90 €. A paraître le 30 octobre.