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Libération
Reportage

A Brasília, une foule venue fêter «la victoire de la démocratie»

Douze ans après son départ du pouvoir, le leader de la gauche brésilienne a été officiellement investi dimanche dans la capitale du pays, sous les acclamations de ses partisans.
Rassemblement des partisans de Lula à Brasilia, le 1er janvier. (Gustavo Moreno/AP)
par Chantal Rayes, correspondante à São Paulo
publié le 1er janvier 2023 à 20h26

Dès l’aube, la clameur de joie a commencé à emplir Brasília. La marée rouge s’empare petit à petit de la capitale brésilienne. Le grand jour est arrivé. Les militants déferlent à pied sur les grands axes de cette ville nouvelle sans âme, pensée et conçue pour la circulation automobile. Lucia, enseignante, est venue de Salvador de Bahia, avec ses consœurs, pour «fêter la victoire de la démocratie». Elles se prennent en photo devant leur hôtel. La petite femme en robe à froufrous sort son portable. Elle montre fièrement sa photo auprès de Lula, «héros» des couches populaires. C’était en 2015, trois ans avant l’arrestation du leader de la gauche brésilienne pour de supposés faits de corruption. Qui aurait pu imaginer un retour aussi spectaculaire ? Lucia, elle, n’a jamais cessé d’y croire : «Lula transmet une force qui n’autorise pas à désespérer.»

Devant le stade Mané-Garrincha, où sont hébergés des militants venus de tout le Brésil, Monique hèle un taxi. Direction la place des Trois-Pouvoirs, où Lula a défilé dimanche soir à bord de la Rolls-Royce décapotable présidentielle, avant de prêter serment la main sur la Constitution brésilienne qu’il a promis « de défendre et d’appliquer», puis de gravir la rampe du palais du Planalto, le point d’orgue de la cérémonie d’investiture. A 77 ans, il devient officiellement président du Brésil pour la troisième fois. «Ce fut de haute lutte, mais nous avons gagné la bataille pour le maintien de notre démocratie», souffle Monique en référence à la victoire serrée de son champion (50,9% des voix au second tour, le 30 octobre) face au sortant Jair Bolsonaro, représentant d’une extrême droite militariste et autoritaire. Le vaincu, qui s’est envolé pour les Etats-Unis vendredi, n’a pas assisté à la cérémonie de passation de pouvoir.

Monique, jeune vétérinaire est venue de Belém, la capitale du Pará, en Amazonie, pour vivre cette «journée historique» : «Je veux pouvoir raconter ça un jour à mes enfants et à mes petits-enfants», dit-elle. Elle est interrompue par un air de carnaval. Amérindiens en coiffe à plumes, paysans sans terre, activistes des fiertés homosexuelles, hommes, femmes, beaucoup de femmes et enfants défilent en dansant, quitte à interrompre la circulation. Aujourd’hui, nul n’imagine s’en plaindre. Au contraire, les badauds, chauffeurs de taxi bolsonaristes compris, sortent leur téléphone pour filmer la scène, étonnamment solennelle. A la trompette, un homme en tête de cortège joue l’hymne de l’icône de la gauche depuis sa première candidature en 1989, lors du retour au suffrage universel après la fin de la dictature : «Olé olé olé olá ! Lula ! Lula ! É lula de novo, com a força do povo !» ( «Voilà Lula de nouveau, avec la force du peuple» ), s’enflamme Monique.

A la gare routière, les cars déversent toujours davantage de militants, qui convergent vers la pelouse de l’esplanade des ministères, où une scène a été montée pour le concert donné par des artistes invités par la nouvelle première dame, Janja Da Silva. Un petit groupe tue le temps en enchaînant les slogans comme ce véhément «la prison pour les putschistes». Par putschiste, ils entendent par exemple l’ancien président Michel Temer, explique Cléa, syndicaliste. Temer a savonné la planche à la dauphine de Lula, Dilma Rousseff, première femme à accéder à la tête du Brésil, renversée en 2016 par un coup de force de la droite. «Il y a aussi les responsables de la farce de l’élection de Bolsonaro, qui ne l’avait emporté en 2018 que parce que Lula a été jeté en prison», poursuit l’enseignante, venue de l’Etat du Minas Gerais.

«Nous avons élu Lula pour révoquer les réformes libérales passées par la droite et l’extrême droite et qui nous ont retiré des droits : celle du code du travail et celle des retraites», annonce quelqu’un au micro. Un vœu pieux, Cléa le sait : «Notre Congrès est très à droite. Mais la lutte continue.» La bataille viendra bien assez tôt, pour l’instant, place à la célébration. A Brasília, ce 1er janvier, on ne se souhaite pas «une heureuse nouvelle année» mais «un heureux Lula nouveau».