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Crise

A Cuba, des manifestants réclament «électricité et nourriture»

Pour la première fois depuis les protestations massives de juillet 2021, des habitants de l’est du pays sont sortis dans la rue dimanche et lundi, exaspérés par les coupures de courant et les pénuries alimentaires. Le régime dénonce des «ennemis de la Révolution».

Ces dernières semaine, Cuba est confrontée à des vagues de panne de courant, comme ici dans la ville de Bauta, le 18 mars. (Ramon Espinosa/AP)
ParFrançois-Xavier Gomez
Rédacteur reporter
Publié le 19/03/2024 à 19h21

A Cuba, le pouvoir communiste a une nouvelle fois invoqué «des terroristes basés aux Etats-Unis» et «les ennemis de la Révolution» pour expliquer les manifestations de dimanche 17 et lundi 18 mars, dans l’est du pays. A Santiago, deuxième ville de Cuba avec plus de 500 000 habitants, à Bayamo, moitié moins peuplée, ou encore à Holguín, des centaines de personnes ont défilé aux cris de «corriente y comida» («du courant et de la nourriture») et de «no mas muela» («arrêtez le baratin»). Dans ces villes distantes d’un millier de kilomètres de la capitale, La Havane, les coupures d’électricité se sont aggravées depuis le début du mois de mars et peuvent durer vingt heures d’affilée.

Le mouvement protestataire de dimanche est le plus important depuis les mobilisations de juillet 2021, qui avaient rempli les rues de nombreuses villes, un fait inédit en plus de soixante ans de régime socialiste. Prises de court, les autorités avaient tardivement réagi, laissant le temps à des centaines de vidéos de se répandre sur les réseaux sociaux et de grossir les défilés. Les censeurs ont retenu la leçon : dimanche, les services de données mobiles pour les téléphones portables ont été rapidement suspendus. Les images des protestations ont donc été limitées.

A Santiago de Cuba, l’électricité est revenue dans la journée de dimanche et «deux camions de riz» ont été acheminés, a indiqué à l’AFP une source sur place. Mais un autre rassemblement a été signalé lundi soir dans le quartier José-Martí. Les sites d’opposition font état d’au moins cinq arrestations. A la suite du mouvement de 2021, des centaines de manifestants, dont des mineurs, ont été condamnés à de très lourdes peines de prison allant jusqu’à 25 ans.

Une centrale thermoélectrique obsolète

Depuis début mars, Cuba fait face à une vague de pannes dues à des travaux de maintenance sur la centrale thermoélectrique (CTE) Antonio Guiteras, la plus grande de l’île, située dans la province de Matanzas, à une centaine de kilomètres de La Havane. Dans les médias officiels (les seuls autorisés), toutes les restrictions du service électrique sont justifiées par les efforts de rénovation de la CTE. Le passage de violents ouragans (notamment Irma en 2017, ou Ian en 2021) n’arrange rien. Pas un mois ne se passe sans qu’un incident plus ou moins grave ne soit signalé à la CTE. En avril 2023, un accident avait fait quatre morts parmi les ouvriers.

A son inauguration en 1988, la centrale thermoélectrique Antonio Guiteras était un fleuron de la coopération entre Cuba et l’Union soviétique, superpuissance qui n’allait pas tarder à disparaître. La CTE est aujourd’hui en fin de vie : les experts considèrent que les installations de ce type ne peuvent pas dépasser les quarante ans. A l’obsolescence s’ajoute le manque de carburant pour la faire tourner, ainsi que les sept autres centrales thermoélectriques du territoire. Auxquelles s’ajoutent huit bateaux générateurs loués récemment à la Turquie.

Pour tenter de calmer les protestations, le ministre de l’Energie et des Mines, Vicente de la O Levy, a promis qu’un important approvisionnement en carburant arriverait avant la fin du mois. Le site VesselFinder, qui suit les trajets des bateaux à travers le monde, signale que le tanker Eco Fleet, provenant de Tunisie avec 39 000 tonnes de gazole à son bord, est à proximité de La Havane depuis le 25 février, mais n’a toujours pas débarqué sa cargaison. Le site d’opposition Diario de Cuba émet deux hypothèses pour expliquer ce mystère : soit un problème technique, soit un retard de paiement de Cuba.

Moscou reprend ses livraisons de brut

D’autres ressources en carburant sont annoncées, en provenance du Mexique ou du Venezuela. Un pétrolier russe devrait apporter 650 000 barils de pétrole brut à la fin du mois. La précédente livraison en provenance de Russie remonte à plus d’un an. Les contacts entre les deux pays sont fréquents : Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie de Vladimir Poutine, était à La Havane en février. Et un prêt important (mais la somme n’a pas été divulguée) a été accordé par Moscou à Cuba il y a quelques jours.

L’économie cubaine ne parvient pas à se relever des conséquences du coronavirus. La fréquentation touristique reste très éloignée de son niveau prépandémie et le prêt payant de personnel médical à l’étranger rapporte beaucoup moins de devises fortes qu’auparavant. En 2023, le PIB s’est contracté de 2 %, selon des chiffres officiels que les experts indépendants jugent sous-évalués.