Pour cette fois, il ne risque pas la prison. Mais financièrement et symboliquement, la peine pourrait néanmoins se révéler très lourde et s’apparenter à une mise à mort des affaires du clan Trump dans l’Etat de New York, berceau de l’empire familial. Le procès civil de l’ancien président et deux de ses enfants, accusés d’avoir gonflé de manière colossale pendant des années leurs actifs immobiliers, s’est ouvert ce lundi 2 août à Manhattan, prélude d’un marathon judiciaire pour le grand favori du camp républicain à la présidentielle de 2024.
Fidèle à sa routine faite de spectacle médiatique et d’attaques personnelles, Donald Trump s’est adressé aux journalistes avant de pénétrer dans la Cour suprême de l’Etat de New York (tribunal de première instance, ndlr), insultant les représentants du ministère de la Justice et retardant au passage de quelques minutes l’ouverture du procès. «Nous avons une procureure générale raciste qui est un spectacle d’horreur […] C’est une arnaque, c’est un simulacre», a lancé Donald Trump, dénonçant une «chasse aux sorcières» menée avec la complicité d’un «juge voyou». Présente elle aussi, la procureure générale de l’Etat de New York, Letitia James, la plaignante dans cette affaire, a assuré que la «justice allait prévaloir» et accusé le milliardaire républicain de «fraudes répétées».
La veille de l’ouverture de ce procès civil, Donald Trump, 77 ans, avait annoncé sa venue dans la ville où il a bâti son empire immobilier familial. «Je vais au tribunal demain matin pour me battre pour mon nom et ma réputation», avait fait savoir l’ex-magnat de l’immobilier dans un message posté tard dans la soirée sur la plateforme Truth Social, dans lequel il qualifiait Letitia James de «corrompue» et le juge chargé de l’affaire de «déséquilibré». «Toute cette affaire est une imposture !!!!», écrivait-il également.
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Ce n’est évidemment pas l’avis du bureau du procureur et du juge Arthur Engoron, qui préside le procès. La semaine dernière, il a estimé que des «fraudes répétées» étaient établies et que le parquet général avait d’ores et déjà démontré que Donald Trump et l’état-major de son groupe avaient «surévalué» leurs actifs de 812 millions à 2,2 milliards de dollars, entre 2014 et 2021. L’argumentaire détaillé sur 35 pages par le juge Engoron met en pièces une défense du camp Trump essentiellement échafaudée selon lui sur «un monde imaginaire, pas le monde réel».
«Un coup majeur»
En conséquence, le magistrat a ordonné le retrait des licences commerciales pour l’Etat de New York à Donald Trump et à deux de ses enfants, Eric et Donald Jr, vice-présidents exécutifs de la Trump Organization, ainsi que la confiscation des sociétés visées par la plainte, pour qu’elles soient confiées à des liquidateurs. Si elles étaient appliquées, ces sanctions porteraient «un coup majeur à la capacité de Donald Trump de faire des affaires dans l’Etat», estime Will Thomas, professeur en droit des affaires à l’université du Michigan.
Donald Trump – qui a fait fortune dans l’immobilier et les casinos dans les années 80 et avait promis de diriger les Etats-Unis comme ses entreprises – perdrait alors le contrôle sur plusieurs étendards de son groupe, comme la Trump Tower sur la 5e avenue de Manhattan. Ces propriétés sont au cœur des accusations de la procureure Letitia James : la surface du triplex de l’homme d’affaires dans la Trump Tower aurait été triplée et le Trump Building du 40 Wall Street surévalué de 200 à 300 millions de dollars dans des déclarations financières. La procureure réclame aussi que soient reconnues d’autres violations de lois financières et une amende de 250 millions de dollars.
Reportage
«Les arguments de défense que Donald Trump tente d’articuler dans sa déposition sous serment sont totalement dénués de fondement en droit ou en fait», avait asséné la semaine dernière le juge Engoron. Il raillait ainsi au passage l’idée «absurde» selon laquelle l’évaluation d’un bien ou même la mesure de sa surface relèveraient d’une forme de «subjectivité» au nom de laquelle le triplex doré occupé par l’ex-président dans la Trump Tower des décennies durant fut déclaré comme mesurant 2 800 m² (contre presque trois fois moins en réalité).
L’ancien président a toujours balayé les accusations et multiplie les attaques contre Letitia James, une élue démocrate afro-américaine qu’il a traitée de «raciste», et le juge Engoron, qu’il qualifie de «dérangé». Sur son réseau Truth Social, il a fait valoir que les banques prêteuses avaient été remboursées, «totalement, avec les intérêts, sans défaillances et sans victimes». La défense compte aussi se battre pied à pied sur les évaluations des actifs.
Aura contrefaite d’indestructible winner
Le procès s’annonce technique et des dizaines de témoins sont attendus, dont trois des enfants Trump, Eric, Donald Jr et Ivanka, initialement visée par la plainte mais finalement non poursuivie, ou l’ancien directeur financier de la Trump Organization Allen Weisselberg, qui a fait de la prison après avoir plaidé coupable de fraude fiscale dans un autre dossier visant le groupe. Parmi les témoins figurent aussi l’ancien avocat de Donald Trump, Michael Cohen, devenu l’un de ses ennemis jurés, ainsi que des employés des banques prêteuses ou du cabinet d’experts-comptables Mazars, qui avait décidé en 2021 de ne plus travailler avec la Trump Organization.
Ce procès va offrir un avant-goût des échéances judiciaires susceptibles de perturber sa campagne pour l’investiture républicaine à la présidentielle 2024. Inculpé au pénal dans quatre dossiers différents, qui n’ont pour l’instant pas entamé sa popularité auprès de la base du parti, l’ancien magnat de l’immobilier doit notamment comparaître à partir du 4 mars devant un tribunal fédéral de Washington. Il est accusé d’avoir tenté d’inverser le résultat de la présidentielle de 2020 remportée par Joe Biden. Il aura ensuite rendez-vous de nouveau avec la justice de l’Etat de New York, cette fois pour des fraudes comptables, puis en Floride pour sa gestion négligente de documents confidentiels après son départ de la présidence.
D’ici là, le début de la chute de Donald Trump pourrait donc s’esquisser à New York, terreau de la fortune familiale et du mythe sur lequel il a édifié son aura contrefaite d’indestructible winner, échappant pour toujours aux conséquences de ses forfaits et bobards. Et l’ironie ne serait pas mince que sa première condamnation majeure, après celle en février pour diffamation d’E. Jean Carroll – qu’il avait agressée sexuellement dans la cabine d’essayage d’un grand magasin new-yorkais dans les années 90 –, sanctionne à travers ces surestimations frauduleuses ce qui fut depuis toujours le moteur de son parcours hors norme : un penchant ravageur pour la crânerie, le bluff et le mensonge plus gros que lui.
Mise à jour à 16h45 avec ouverture du procès à New York