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Ami des magnats du pétrole et apôtre de la captation de CO2 : Doug Burgum, le gouverneur qui se rêve vice-président de Donald Trump

Le milliardaire réac séduit de riches donateurs et figure en bonne place pour la vice-présidence du candidat républicain. Sauf si son soutien à un pipeline de CO2 dans son Etat de Dakota du Nord, qui hérisse pêle-mêle écologistes, agriculteurs et climatosceptiques, se retourne contre lui.
L’an dernier, Doug Burgum avait tenté sa chance à l’investiture républicaine pour la présidentielle avant de jeter l’éponge en décembre, capturant au passage l’attention de l’équipe de Trump. (Alex Kent /AFP)
publié le 13 juillet 2024 à 9h21

Son nom revient souvent, quand il s’agit de faire des paris sur l’identité du futur colistier de Donald Trump. Son parcours ferait de lui, aux yeux de nombreux chefs d’entreprise et d’élus du Grand Old Party, le vice-président idéal. Depuis quelques mois, le gouverneur du Dakota du Nord, Doug Burgum, sillonne le pays pour appuyer la candidature de l’ancien président à un nouveau mandat à la Maison Blanche. Outre un rôle de conseiller en matière de politique énergétique, il est devenu l’un de ses partisans les plus visibles et les plus actifs, envoyé par l’équipe de campagne du républicain dans une douzaine d’Etats pour rabâcher la bonne parole trumpiste, de la Floride au Nevada, du Texas au New Hampshire. Donald Trump, qui ces temps-ci fait monter le suspense à chaque événement public, doit annoncer le nom de celui qui deviendrait son «VP» en cas de réélection en novembre, d’ici la Convention républicaine, qui débute le lundi 15 juillet à Milwaukee (Wisconsin), ou lors de celle-ci.

Dans la shortlist, Doug Burgum doit jouer des coudes, aux côtés de figures mieux identifiées à l’échelle nationale : les sénateurs Marco Rubio (Floride), Tim Scott (Caroline du Nord) ou J. D. Vance (Ohio) ou encore le secrétaire au Logement et au Développement urbain de l’administration Trump, Ben Carson… Le gouverneur du Dakota du Nord, 67 ans, ne bénéficie pas de la notoriété de ses concurrents au-delà des frontières de son petit Etat républicain du Midwest, l’un des moins peuplé du pays. Mais il a des arguments à faire valoir. Diplômé de Stanford, ancien consultant chez McKinsey, entrepreneur dans la tech via sa société Great Plains Software, vendue en 2001 à Microsoft pour 1,1 milliard de dollars, Doug Burgum fait ensuite des affaires dans l’immobilier et le capital-risque, avant de se lancer en politique. Elu gouverneur une première fois en 2016, largement réélu en 2020, il est issu d’une famille qui a prospéré dans la culture des céréales et l’agroalimentaire. Une biographie idéale pour incarner deux segments essentiels de l’électorat républicain : l’Amérique de la tech et du business, et l’Amérique rurale et conservatrice, dont il emprunte souvent l’iconographie dans ses visuels de campagne ou sur les réseaux sociaux, en posant à cheval, chemise à carreaux et chapeau de cow-boy.

Interdiction presque totale de l’IVG, baisses d’impôts, lois anti-trans

Son entregent auprès des donateurs, séduits par sa longue carrière de chef d’entreprise, n’a pas échappé à l’équipe de campagne de Trump. Burgum compte parmi ses soutiens le Canadien Kevin O’Leary, président d’une société privée d’investissement en capital-risque et l’une des vedettes de l’émission de téléréalité Shark Tank, pour qui «Trump est un visionnaire grandiloquent, mais il faut quelqu’un pour exécuter. Burgum, lui, y parviendra.» Il entretient également des liens étroits avec des patrons de l’industrie des énergies fossiles aux poches profondes. L’exploitation, depuis vingt ans, des schistes de la formation géologique de Bakken a fait du Dakota du Nord le troisième plus gros producteur de pétrole des Etats-Unis, derrière le Texas et le Nouveau-Mexique. Burgum est notoirement proche du milliardaire Harold Hamm, président exécutif du géant du forage Continental Resources, plus grand détenteur de concessions pétrolières et gazières de l’Etat.

L’an dernier, Doug Burgum avait tenté sa chance à l’investiture républicaine pour la présidentielle avant de jeter l’éponge en décembre, capturant au passage l’attention de l’équipe de Trump. Afin de se conformer aux règles du comité national républicain, qui exige des candidats un certain nombre de donateurs – censé prouver le soutien des électeurs – pour participer aux aux débats télévisés, le milliardaire avait mis en place une astuce remarquée : il offrait des cartes cadeau de 20 dollars en échange de dons d’un dollar pour sa campagne. Son bilan de gouverneur est celui d’un républicain bon teint, donnant tous les gages au parti sur ses thèmes favoris : interdiction presque totale de l’avortement dans son Etat, baisses d’impôts, lois anti-trans… Doug Burgum est partout parfaitement prévisible, sauf sur la question climatique, où le gouverneur peut paraître plus nuancé que les caciques du GOP. A commencer par Trump, soutenu pour chacune de ses campagnes par l’industrie pétrolière et gazière, qui a qualifié le changement climatique de «canular» et affirme sur son site de campagne que le président américain Joe Biden a cédé aux «croisés climatiques fous».

En 2017, Burgum a signé un projet de loi visant à créer le premier département de la qualité de l’environnement de Dakota du Nord. Il ambitionne également de rendre son Etat neutre en carbone d’ici 2030… Tout en maintenant une industrie des combustibles fossiles robuste, grâce à la capture et le stockage du CO2 dans les formations géologiques. Cette technologie, appelée CCS (pour Carbon Capture and Storage), consiste à enfouir dans le sous-sol du CO2 préalablement «capté» dans l’atmosphère ou à la sortie d’usines ou de centrales électriques utilisant des énergies fossiles (gaz, charbon ou pétrole). Loin d’être la solution miracle prônée par l’industrie, le CCS a été critiqué par les experts du Giec pour son coût, les défis technologiques qu’il pose et l’utilisation de ressources, dont l’eau, qu’il nécessite.

Plus grand système de capture du carbone au monde

Burgum pousse ces derniers mois pour la réalisation du Midwest Carbon Express, un gigantesque gazoduc pour le transport du dioxyde de carbone, qui le place au centre de pressions concurrentes, entre ses bienfaiteurs politiques et ses électeurs. Construit par l’entreprise Summit Carbon Solutions, le tuyau de plus de 4 000 kilomètres doit traverser l’Iowa, le Minnesota, le Nebraska et le Dakota du Sud pour s’achever dans le Dakota du Nord, où jusqu’à 18 millions de tonnes de CO2 seraient enfouies chaque année dans des formations rocheuses souterraines. Summit Carbon Solutions présente son projet comme un moyen de piéger le dioxyde de carbone provenant des usines du Midwest et de stocker le gaz en profondeur, empêchant ainsi les émissions d’accélérer le changement climatique. Il s’agirait du plus grand système de capture du carbone au monde.

Au niveau national, la position de Burgum, qui est ouvertement favorable au projet, pourrait le mettre en porte-à-faux avec Donald Trump, d’autant que le CCS est une technologie encouragée par le vaste plan climat de son adversaire démocrate Joe Biden pour lutter contre le changement climatique, l’Inflation Reduction Act (IRA). Le Midwest Carbon Express devrait ainsi bénéficier d’incitations financières pour le captage du carbone incluses dans l’IRA, à laquelle Burgum, comme Trump, se sont opposés. Summit pourrait recevoir jusqu’à 1,5 milliard de dollars par an en crédits d’impôt grâce à cette loi. Ce projet à 5,5 milliards de dollars divise aussi dans son Etat, et en particulier parmi ses soutiens traditionnels : des propriétaires fonciers, surtout des agriculteurs, s’y opposent fermement. Leur propriété serait traversée par le pipeline ou leur sous-sol utilisé pour stocker du carbone, leur faisant redouter l’effondrement de la valeur du foncier, des accidents et des pollutions. Ils s’indignent également des méthodes employées par Summit pour obtenir les servitudes nécessaires au projet, qu’ils qualifient d’«intimidations» dans la presse locale. L’opposition au projet a d’ailleurs favorisé des alliances improbables entre associations écologistes, inquiètes de l’impact négatif du pipeline sur l’environnement, et agriculteurs.

Doug Burgum fait partie d’un comité de trois membres appelé à se prononcer cet automne sur l’octroi à Summit du permis de stockage souterrain de dioxyde de carbone. En cas de feu vert, l’entreprise pourrait contraindre les propriétaires terriens à conclure un accord. Pour répondre aux critiques, le gouverneur n’a de cesse de présenter le projet comme une opportunité commerciale lucrative pour le Dakota du Nord et un coup de pouce à l’industrie fossile. «Cela n’a rien à voir avec le changement climatique, cela a à voir avec les marchés», a-t-il martelé en mars sur une radio locale. Cela a aussi à voir avec ses affaires et celles de ses amis. Summit Carbon Solutions a été fondé par Bruce Rastetter, très gros donateur du GOP dans l’Iowa, qui a versé des millions de dollars à Trump et à d’autres campagnes républicaines. L’un des principaux investisseurs de l’entreprise n’est autre que Continental Resources, la société pétrolière détenue par Harold Hamm, qui a donné 250 000 dollars à un comité d’action politique («super PAC») pro-Burgum l’année dernière. Et cette année, 1 million de dollars à un super PAC pro-Trump.