Couper une rue dans l’Argentine présidée par Javier Milei aura dorénavant un risque plus élevé pour les pauvres que pour les riches. Lundi 18 décembre, à la veille d’une première mobilisation contre le nouveau président d’ultra-droite ces mardi 19 et mercredi 20 décembre, le gouvernement ultralibéral redoublait de menaces envers les protestataires : quiconque bloquera une route se verra retirer son aide sociale. Une mesure déclarée comme anticonstitutionnelle par les députés de l’opposition, qui l’ont dénoncée devant la justice, selon le quotidien espagnol El País.
La ministre du Capital humain, Sandra Pettovello, a averti lundi dans un bref message diffusé sur son compte X (anciennement Twitter) de l’exécutif que «ceux qui coupent les rues ne seront pas payés», ciblant nommément «les bénéficiaires des plans sociaux». Autrement dit, les Argentins les plus vulnérables, qui dépendent des aides sociales pour vivre. Selon l’Observatoire social de l’université catholique d’Argentine, 40,1 % de la population du pays est pauvre, tandis qu’un habitant sur deux reçoit une forme d’aide de l’État, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une organisation. «Si c’est bel et bien un droit de manifester, c’est aussi un droit de circuler librement pour se rendre au travail», a souligné la ministre. «Nous sommes particulièrement préoccupés par les mères qui amènent leurs enfants aux manifestations, a-t-elle ajouté dans une autre déclaration. Il est inutile de les exposer à la chaleur et à la violence des manifestations. Dans la nouvelle Argentine, cette situation doit prendre fin.»
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Le gouvernement redoute l’augmentation des troubles sociaux en raison de la détérioration économique causée par son plan d’ajustement de 5 % du PIB d’ici 2024, qui équivaut à une réduction de 20 milliards de dollars des dépenses publiques. Quelques jours avant les déclarations sur les aides sociales, le gouvernement argentin annonçait déjà que les forces de l’ordre interviendraient contre tout blocage de rues lors de manifestations.
Loin de calmer le jeu, ces déclarations ont fait monter la tension du côté des partis de gauche et des syndicats. «Nous allons tous descendre dans la rue», a asséné Eduardo Belliboni, l’un des leaders d’un important mouvement social de gauche radicale, Polo Obrero (Pôle ouvrier), rapporte El País. Le choix de la date de leur mobilisation contre le plan d’économies du président d’extrême droite, vu comme un «dynamitage du pouvoir d’achat», n’est pas dû au hasard : le 20 décembre est associé dans la mémoire des Argentins aux grandes manifestations de 2001, qui avaient fait 39 morts et un demi-millier de blessés lors de la crise de la dette publique. Depuis, décembre a toujours été un mois mouvementé dans le calendrier argentin, avec des coupures d’axes de circulation quasi quotidiennes chaque année, notamment à Buenos Aires.
«Un plan d’agression du peuple»
«Plus qu’une limitation de l’usage de la force policière, il s’agit d’une autorisation d’exercer la violence contre les manifestants» dès lors «criminalisés», avait dénoncé le Centre d’études sociales et juridiques (CELS) le 14 décembre, à l’annonce du nouveau protocole de sécurité du gouvernement. Celui-ci est dénoncé par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, qui y voient une atteinte à la liberté de manifester.
👉Denunciamos el protocolo contra la protesta en la @CIDH y la @OACNUDH
— CELS (@CELS_Argentina) December 19, 2023
Con más de 1700 firmas de centrales sindicales, organizaciones sociales y organismos de DDHH les pedimos que exijan al Estado argentino que garantice el derecho a protestar. https://t.co/y6s5SDceYy
La ministre de la Sécurité Patricia Bullrich, qui retrouve son poste déjà occupé entre 2015 et 2019 sous la présidence du libéral Mauricio Macri, a annoncé cette prochaine loi pour empêcher les «coupures, piquets, barrages», qui affectent l’activité et «empêchent les Argentins de vivre en paix». Le nouveau protocole prévoit d’augmenter le rayon d’action des forces de l’ordre, qui interviendraient contre tout blocage de rue afin de libérer les zones de circulation. «La force utilisée sera le minimum nécessaire, mais proportionnelle à la résistance», a-t-elle détaillé, précisant que «la facture de ce dispositif sera envoyée aux organisations ou individus responsables. L’Etat ne paiera pas pour cet usage de la force de sécurité.»
Profil
Polo Obrero a dénoncé «un plan d’agression du peuple» par Patricia Bullrich. Les députés du Frente de Izquierda (Front de gauche) agissent de leur côté sur le plan juridique. Ce lundi, ils ont demandé une mesure préventive devant les tribunaux pour suspendre et déclarer comme inconstitutionnel ce protocole anti-manifestations. Après les annonces de la ministre, plusieurs médias avaient souligné qu’un plan similaire avait déjà été lancé, sans grand succès, sous le gouvernement Macri.