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Contestation

Argentine : le Sénat valide les réformes ultralibérales de Milei sur fond de manifestations violentes

La réforme de l’Etat par le président argentin ultralibéral a franchi une étape clé mercredi 12 juin au Sénat, qui a approuvé son projet contesté et révisé. De nouvelles émeutes ont éclaté en marge des discussions, avec une dizaine de blessés.
Devant le Congrès argentin à Buenos Aires, mercredi. (Rodrigo Abd/AP)
publié le 13 juin 2024 à 8h06

Une journée d’émeutes n’aura pas fait virer de bord les Sénateurs argentins. La nouvelle version de la très contestée réforme de l’Etat, menée par le président ultralibéral Javier Milei, a franchi une étape clef, mercredi 12 juin au soir : la chambre haute du pays a donné son feu vert au texte. Et ce malgré les violences qui ont éclaté dans le même temps dans la journée. Le texte doit être approuvé définitivement ce jeudi matin après quelques modifications à la marge. La Chambre des députés devra ensuite se prononcer sur son adoption définitive.

Les discussions des Sénateurs sur ce vaste et polémique train de réformes dérégulatrices avaient débuté le matin même. En parallèle, des affrontements ont éclaté à Buenos Aires entre forces de l’ordre et manifestants anti-Milei. Ils ont commencé lorsque les manifestants ont tenté de déborder le cordon de sécurité qui entourait la Chambre des députés. «Nous ne pouvons pas croire qu’en Argentine, nous discutons d’une loi qui nous ramènera 100 ans en arrière», a résumé l’un d’eux. Deux aspects surtout génèrent des résistances : l’étendue de privatisations d’entreprises et la délégation de pouvoirs accrus à l’exécutif, pour une période limitée, au nom de «l’urgence économique».

Des manifestants ont incendié des voitures, jeté des projectiles ; la police a riposté par des tirs tendus de balles en caoutchouc et des lances d’eau. Sept personnes, dont cinq députés d’opposition, aspergées de gaz lacrymogènes, ont été soignées à l’hôpital, selon le ministère de la Santé. Des dizaines d’autres personnes ont été prises en charge sur place, après avoir inhalé les fumées. Au moins dix personnes ont été arrêtées et neuf policiers blessés, a pour sa part rapporté le porte-parole du ministère de la Sécurité.

«Thérapie choc» d’austérité

La présidence argentine a dénoncé «les groupes terroristes qui, à l’aide de bâtons, de pierres et même de grenades, ont tenté de perpétrer un coup d’Etat», alors que manifestations et violences éclatent depuis décembre, début des discussions du texte. Il faut dire que le gouvernement tient à sa réforme d’ampleur, dite «omnibus : d’abord rejetée dans sa forme originale de 600 articles, elle a été adoptée en avril avec des changements majeurs en 238 articles par les députés. Parmi les concessions : le nombre des privatisations, passées d’une quarantaine dans la version initiale à moins de 10 - celle de la compagnie aérienne publique Aerolineas Argentinas. est toujours sur la table. A noter que le projet de flexibilisation du marché du travail a aussi été débattu par les sénateurs. Une réforme fiscale, initialement partie de la loi omnibus, a été dissociée pour être discutée à part, dans la même session.

De telles réformes, en particulier du travail, «ramènent au siècle dernier lorsque l’employé n’avait aucun droit», a dénoncé le sénateur d’opposition Mariano Recalde. Elle serait au contraire «un accélérateur, un catalyseur du redressement de la situation économique» a rétorqué le ministre de l’Economie Luis Caputo. Mais, comptant se prémunir contre un rejet éventuel, il a aussi souligné que le vote «ne changera rien au fait que ce pays va se redresser quand même, car ce gouvernement ne changera pas de cap. L’ordre macroéconomique se poursuivra».

Car au-delà des tribulations législatives, la «thérapie choc» d’austérité promise par Milei produit déjà des effets depuis décembre : dévaluation brutale du peso (54 %), prix et loyers libérés, fin des subventions aux transports, à l’énergie, gel des chantiers publics, coupes budgétaires tous azimuts… Ainsi le président claironne régulièrement que l’inflation est «dominée», avec une décélération continue depuis cinq mois : elle est tombée de 25 % par mois à 8,8 % en avril. Et le budget se trouve au premier trimestre à un excédent sans précédent depuis 16 ans.

Sauf que l’austérité étrangle la consommation, fait s’effondrer l’activité économique et installe la récession : l’économie s’est contractée de 5,3 % au premier trimestre. Sans signe imminent de rebond. «Depuis le FMI jusqu’aux investisseurs étrangers, de nombreux acteurs affirment que, pour que la proposition (Milei) soit crédible, il faut des lois passées au Parlement, des accords, un Etat plus ou moins fonctionnel», estime Ivan Schuliaquer, politologue a l’Université de San Martin.

Pourtant, six mois après son accession à la présidence, Javier Milei n’a pas encore fait approuver la moindre réforme au Parlement. La faute a son manque de sièges dans les deux chambres : son petit parti, la Libertad Avanza, n’est que la 3e force à la Chambre des députés. Il est aussi minoritaire au Sénat, avec sept parlementaires sur 72 : le vote de Victoria Villaruel, présidente de la chambre haute et vice-présidente du pays, a été déterminant pour la loi omnibus.