Le nom figure l’arrondi harmonieux et rassurant d’une coupole de cathédrale protégeant ses fidèles. En réalité, le projet de «Dôme d’or» lancé mardi 20 mai par Donald Trump est une monstrueuse machine de guerre qui déploiera des satellites armés de missiles au-dessus de la Chine ou de la Russie, relançant la course mondiale à l’armement.
Quel est le principe du Dôme d’or ?
Dans la salve des décrets signés par Donald Trump fin janvier, s’était glissé le projet de «Dôme de fer pour l’Amérique». Un nom inspiré du bouclier israélien qui n’a pourtant comme objectif que d’arrêter les modestes roquettes du Hamas. Rebaptisé depuis «Dôme doré pour l’Amérique», c‘est un système militaire extrêmement ambitieux, voire irréaliste, d’interception de missiles depuis l’espace. L’idée avait été lancée par ses prédécesseurs Ronald Reagan et George W. Bush, mais jamais mise en œuvre. «L’espace va devenir un nouveau champ de bataille», avait annoncé Trump dès 2019.
Le principe est de protéger le sol américain des missiles balistiques intercontinentaux à charge conventionnelle ou nucléaire capables de parcourir les 10 000 kilomètres qui le séparent de la Corée du Nord, de la Chine ou de l’Iran. Mais aussi des missiles hypersoniques et des missiles de croisière russes qui peuvent manœuvrer sur plusieurs milliers de kilomètres depuis un avion ou un bateau en échappant à la couverture radar antimissile classique.
Comment le réaliser ?
A partir du moment où un missile adverse largue ses têtes multiples et ses leurres et qu’ils s’éparpillent en direction du territoire américain, il faut envoyer un ou deux missiles par objet pour espérer les arrêter. Sachant que des dizaines, voire des centaines de tirs simultanés peuvent fendre l’air et l’espace à des vitesses hypersoniques. «L’idée est donc d’intercepter les missiles avant qu’ils ne soient tirés, ou juste après avoir été tirés, au moment où ils sont le plus vulnérables, dit Etienne Marcuz, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialisé sur les questions de dissuasion et de défense antimissile. Pour cela, il faut avoir des intercepteurs situés près des sites de lancement. Il est facile de s’approcher de la Corée du Nord. Mais pour atteindre les silos situés en plein milieu du territoire chinois, la seule solution est de mettre en orbite des satellites chargés de missiles antimissiles», explique-t-il.
A lire aussi
Ce qui accélère l’arsenalisation de l’espace. «Les Chinois et les Russes vont développer des armes spatiales pour détruire les intercepteurs américains, sachant qu’il est relativement facile de frapper un satellite dont la trajectoire est prédictive. Et une fois qu’ils auront créé une brèche, ils pourront tirer d’autres missiles qu’il sera très difficile d’intercepter à l’approche des Etats-Unis», prédit Etienne Marcuz.
Les promesses de Donald Trump sont-elles réalistes ?
Le nombre de menaces à prendre en compte obligera à construire un système extrêmement complexe de capteurs, de radars et d’intercepteurs différents, à différentes altitudes, à la fois dans l’espace, sur les mers et sur le sol américain. Donald Trump a annoncé que le Dôme d’or serait opérationnel «d’ici deux ans et demi à trois ans» et coûterait «175 milliards de dollars [154 milliards d’euros] une fois terminé.» Des prévisions surréalistes. Le bureau du budget du Congrès estime qu’à elle seule, la constellation d’intercepteurs spatiaux pourrait coûter 542 milliards de dollars [478 milliards d’euros]. Et il faudra des années de recherches et de tests avant que le système complet fonctionne. S’il fonctionne.
«Le taux de réussite est très proche de 100 %, ce qui est incroyable», s’est enthousiasmé Donald Trump lors de sa présentation. Un taux absurde, sachant que même les rebelles houthis arrivent à faire passer des missiles balistiques à travers le bouclier israélien hypersophistiqué Arrow 3, développé avec les Etats-Unis. Et que le territoire américain est 460 fois plus grand qu’Israël. «Il y a un intérêt à absorber une frappe contre les forces militaires américaines pour garder des moyens de riposter. Ou de faire une attaque en premier pour neutraliser une partie de l’arsenal nucléaire de l’adversaire. Mais pour protéger la population, c‘est illusoire», souligne le chercheur Etienne Marcuz. Même en imaginant que le Dôme d’or atteigne un taux exceptionnel de 97 %, il suffirait d’une seule charge nucléaire pour vitrifier Washington.
Quel est le risque ?
Le risque de déstabilisation planétaire est, lui, bien réel. «Un bouclier encourage les adversaires à multiplier les vecteurs pour augmenter les chances de le traverser. De plus, il peut permettre à son possesseur de lancer une attaque surprise désarmante en misant sur le fait que le reliquat des armes adverses qui auront survécu à l’attaque pourra être stoppé. Cela incite donc l’adversaire à tirer en premier au moindre soupçon de préparatifs, pour ne pas perdre ses missiles avant qu’ils ne soient tirés. Et donc augmente le risque de fausse alerte», déplore Etienne Marcuz. En 1972, en pleine guerre froide, Moscou et Washington s’étaient entendus pour limiter le développement des armes stratégiques et le risque d’escalade en signant le traité «antimissile balistique». Un demi-siècle plus tard, la course mondiale à l’armement est relancée.