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Répression

Au Brésil, la censure littéraire des Etats bolsonaristes

De «O Avesso da Pele» à «O menino marrom», des livres classiques disparaissent des écoles brésiliennes. Derrière ces interdictions, l’ombre des partisans de de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro.
Bolsonaro assiste à la réunion d'État du Parti libéral, à Goiânia, au Brésil, le 4 avril. (Mateus Bonomi /Anadolu via AFP)
publié le 6 juillet 2024 à 18h02

Au Brésil, une vague de censure littéraire déferle, frappant de plein fouet les écoles de plusieurs Etats fédérés. Les ouvrages d’écrivains prestigieux, comme Jeferson Tenório (O Avesso da Pele) et Ziraldo Alves Pinto (O menino marrom), entre autres, sont les dernières victimes de ce mouvement orchestré par des politiciens aux sympathies proches de l’ancien président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, au pouvoir entre 2019 et 2022.

Dans ce pays d’Amérique latine, chaque Etat fédéré dispose d’une certaine autonomie, notamment en matière d’éducation. En dépit de son départ de la présidence, Jair Bolsonaro a maintenu son influence à travers des alliés locaux qui partagent sa vision conservatrice. «Nous n’avons pas encore tenu un registre organisé, mais les cas se sont multipliés», précise João Nery, professeur de communication de l’université à São Paulo, en soulignant l’augmentation des incidents de censure, paradoxalement depuis l’arrivée de Lula au pouvoir, rapporte le magazine brésilien Gama Revista.

Acte «antidémocratique»

En mars, le ministère de l’Education de l’Etat du Paraná, situé dans le sud du pays, a demandé le retrait d’exemplaires de O Avesso da Pele dans les écoles publiques. Quelques jours plus tard, c’était au tour des gouvernements de Goiás (dans le centre) et de Mato Grosso do Sul (dans l’ouest de la région Centre-Ouest) de prendre la même mesure. O Avesso da Pele de Jeferson Tenório, lauréat du prestigieux prix littéraire Jabuti en 2021, présente des problématiques allant du racisme aux violences policières. C’est «l’ouvrage que l’extrême droite tente de censurer», a commenté sur X, Fernanda Melchionna, députée fédérale de l’Etat de Rio Grande do Sul. Les autorités brésiliennes justifient cette mesure en invoquant «l’utilisation de termes jugés inappropriés pour la tranche d’âge des élèves», rapporte le site d’information g1.

La censure de O Avesso da Pele n’est pas un cas isolé. Le 19 juin, O menino marrom de Ziraldo Alves Pinto, un roman pour enfants publié il y a quarante ans et abordant les thèmes de l’inclusion et de la diversité a été interdit temporairement dans l’Etat de Minas Gerais (dans le sud-est du pays) sous la pression de parents conservateurs qui jugeaient son contenu «extrêmement agressif», selon la chaîne CNN Brasil. La suspension visait à permettre à «l’équipe pédagogique de répondre aux questions et aux demandes des parents et autorités», affirment les autorités sur les réseaux sociaux.

Plus récemment, en mai, la suspension temporaire de Cartas para minha avó de Djamila Ribeiro à São Paulo a également provoqué une polémique. Sur un réseau social, l’autrice et philosophe brésilienne a critiqué cette mesure, la qualifiant d’«antidémocratique». Pour les mouvements conservateurs, le contrôle des programmes scolaires est crucial. Les œuvres abordant la diversité de genre ou les questions LGBTQ+ sont systématiquement attaquées, accusées de corrompre la jeunesse et de saper les fondements de la société traditionnelle. La rhétorique de la «protection de l’enfance» sert à légitimer ces attaques. Comme l’explique le psychologue Domenico Hur au magazine brésilien Gama Revista, cette stratégie vise à mobiliser «l’opinion publique et la population». Selon l’expert, cette vague de censure pourrait être liée aux élections municipales au Brésil qui auront lieu en octobre prochain.