Le 21 janvier, trois semaines après son entrée en fonction, le président Lula se rendait en compagnie de sept de ses ministres dans l’Etat du Roraima, dans le nord amazonien du Brésil, au moment où le ministère de la Santé décrétait l’état d’urgence sanitaire dans une partie de la région, la «Terre indigène Yanomami», nom administratif du territoire, grand comme le Portugal, où sont recensés 30 400 Yanomamis, une communauté autochtone en grand danger.
Selon le ministère, une centaine d’enfants de moins de 5 ans sont morts en 2022, victimes de malnutrition, de pneumonie, du paludisme, de gastro-entérites ou d’autres infections. Les deux tiers n’avaient pas atteint un an de vie. Les jours précédents la visite de Lula, les images d’enfants squelettiques avaient bouleversé l’opinion. L’état de santé de la population adulte est tout aussi critique. Après la visite d’un hôpital, le président de gauche a témoigné : «Ce que j’ai vu m’a ébranlé.» Dans la foulée, il décidait de l’ouverture d’une enquête pour «génocide».
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La principale raison de ce désastre humanitaire est l’invasion des terres communautaires par les garimpeiros, les orpailleurs qui extraient les minerais des cours d’eau. Une activité illégale puisque ces territoires sont protégés et légalement inviolables. Mais sous la présidence de Jair Bolsonaro, les infractions n’ont été ni relevées ni sanctionnées, une situation d’impunité qui a encouragé un afflux de chercheurs de métaux. Or, le mercure utilisé dans l’orpaillage a rendu impropre à la consommation l’eau des rivières et ruiné la pêche traditionnelle, entraînant une crise alimentaire. Autre conséquence, la présence des envahisseurs, entre 15 000 et 20 000 selon les estimations, a apporté dans des communautés vulnérables les fléaux de l’alcool, de la drogue et de la prostitution.
Fermeture quasi totale de l’espace aérien
Pour contrer cette situation de crise et faire la chasse aux orpailleurs illégaux, Lula a décidé de déployer l’armée et la police, une opération coup de poing qui a fait fuir des milliers de garimpeiros, parfois à pied, ou en s’entassant dans des pirogues à moteur. Les ont accompagnés toute une microsociété de cuisinières, petits commerçants ou prostituées qui s’était greffée sur la ruée vers l’or et la cassitérite, convoitée pour sa teneur en étain.
La première mesure des autorités, le 2 février, a été la fermeture quasi totale de l’espace aérien, pour empêcher les trafiquants de ravitailler les mines. Des avions de chasse munis de moyens de détection puissants font atterrir tout appareil suspect, et sont autorisés à faire feu sur les récalcitrants. Le 9 février, l’agence environnementale Ibama annonçait les premiers résultats de cette opération de reconquête de la réserve la plus vaste du Brésil : la destruction d’équipements saisis sur les sites miniers comme un bulldozer, un avion et un hélicoptère. L’opération s’est poursuivie avec un volet humanitaire et l’installation d’un hôpital de campagne, visité par 300 personnes en quelques jours, à Boa Vista, capitale de l’Etat, ainsi que le largage de 61 tonnes de vivres et de médicaments dans les terres yanomamies.
L’opération du gouvernement suscite cependant de nombreuses inquiétudes dans l’Etat de Roraima, frontalier du Guyana et du Venezuela, où une économie souterraine s’est développée autour du trafic de métaux. Le déplacement de milliers d’orpailleurs, désormais désœuvrés, pose de nombreux problèmes. Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Flávio Dino, compte sur le départ volontaire d’au moins 80 % d’entre eux, sans nécessité de «mesures coercitives». Mais «ceux qui ont commis des crimes de génocide, des délits environnementaux, financé l’orpaillage illégal ou blanchi de l’argent», seront présentés à la justice, a-t-il assuré.
Un juge de la Cour suprême a par ailleurs demandé l’inclusion de membres du gouvernement de Jair Bolsonaro (au pouvoir entre 2019 et 2022) dans l’enquête pour génocide du peuple yanomami. Le leader brésilien, dont le père avait lui-même été orpailleur dans les années 80 dans la mine à ciel ouvert de Serra Pelada, rendue célèbre par les images du photographe Sebastião Salgado, a toujours défendu les activités minières dans les terres indigènes, malgré leur illégalité.
Tableaux dignes du Far West
Un nouvel élément à charge contre l’ex-président d’extrême droite a été apporté jeudi par le site d’investigation brésilien Sumauma. Un rapport d’une équipe médicale, remis en 2020 à l’antenne de Boa Vista du ministère de la Santé, détaillait avec précision la situation catastrophique des communautés de Yanomamis. Alcoolisme et consommation de cocaïne, ravages des armes à feu introduites par les garimpeiros, violences sexuelles, vol des médicaments et de vaccins : dans plusieurs villages, la société traditionnelle s’est désagrégée à partir de 2018 et les premières invasions de terres.
Les extraits cités dessinent un tableau digne d’un Far West sans foi ni loi, où règne l’exploitation des plus faibles. Au contact des mineurs, les indigènes ont abandonné leurs activités traditionnelles, chasse et pêche. Les médecins de la mission rencontrent des villageois qui ont adopté le mode de vie des envahisseurs : souvent ivres, ils se ravitaillent dans les échoppes des campements en payant en grammes d’or, à des tarifs exorbitants : 5 kilos de saucisses contre 5 grammes, soit 300 dollars (presque autant en euros) ; une caisse de bière, 1 gramme (60 dollars), le même prix que 2 kilos de riz. Les autochtones se seraient par la suite financés en prélevant des taxes sur chaque avion qui se posait sur les pistes de fortune. Ou en prostituant leurs femmes et filles. Plusieurs membres des communautés auraient été assassinés par les leurs pour s’être opposée à ces dérives. Malgré la gravité des faits rapportés, le rapport est resté lettre morte, et n’a donné lieu à aucune enquête.