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Imposition

Au Brésil, Lula marque un but vers plus de justice fiscale

Le président brésilien a réussi à faire adopter, le 1er octobre, un projet de loi allégeant l’impôt des plus défavorisés et relevant celui des plus fortunés. Un coup de maître à un an de la présidentielle.

Le président brésilien Lula à Belem, le 3 octobre 2025. (Anderson Coelho/Reuters)
ParChantal Rayes
correspondante à São Paulo
Publié le 05/10/2025 à 11h09

C’est un golaço, un «très beau but» comme on dit au pays du foot, qui vient couronner une séquence réussie pour Lula da Silva. A un an de la présidentielle, le chef de l’Etat brésilien tient enfin la marque qui manquait à ce troisième mandat un peu terne : celle d’un premier pas vers la «justice fiscale», dans un pays connu pour l’ampleur de ses inégalités. Mercredi 1er octobre, le Parlement brésilien a approuvé à la quasi-unanimité un projet de loi proposé par le gouvernement pour relever le plafond d’exemption de l’impôt sur le revenu à 5 000 reals mensuels (795 euros). Et ce n’est pas tout : la catégorie de revenus suivante (jusqu’à 7 350 reals, soit 1 170 euros) bénéficiera, elle, d’un allègement. Au total, quelque 16 millions de contribuables sont concernés. «Il s’agit de travailleurs faiblement qualifiés, qui tombent sous le coup de l’impôt sans être considérés pour autant de la classe moyenne, décrypte le politologue Malco Camargos. S’il avait déjà la sympathie des plus démunis, c’était encore un défi pour Lula de se rapprocher de ce nouveau public, qui a du mal à voir ce que l’Etat fait pour lui.»

Déposé en mars, le texte – qui devrait être validé sans peine par le Sénat – a recueilli un score inédit : 493 voix sur 513. Les députés restants étaient absents ou se sont abstenus. «Personne n’a osé voter contre !» exulte Ivan Valente, député du parti Socialisme et Liberté et membre de la commission spéciale qui a examiné le texte. Pas même la droite et l’extrême droite, majoritaires à la Chambre et qui refusaient net de faire payer l’addition aux plus fortunés : une poignée de 141 000 contribuables dont les revenus se situent entre 50 000 et 100 000 reals mensuels (8 000 à 16 000 euros) et qui ne paient actuellement pas plus de 2,5 % d’impôts. Désormais, ces hauts revenus seront imposables selon un barème progressif allant jusqu’à 10 %, pour compenser les quelque 5 milliards d’euros que coûtera au trésor public l’allègement de la fiscalité sur les plus modestes. Si l’on est encore loin d’un grand soir, «faire payer ceux qui ont plus reste une première dans un pays où la fiscalité est éminemment régressive», se félicite encore le député Valente.

Quel spectaculaire rebond pour un Lula jusqu’ici otage d’un Congrès hostile ! Si la popularité du Président n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était lors de ses deux premiers mandats (entre 2003 et 2011), la voilà qui remonte. Le leader de gauche recueille à présent 48 % d’avis favorables (mais autant de défavorables) et mène la course en tête pour la présidentielle de l’an prochain. Le Parti progressiste et União Brasil, deux formations de droite qui menaçaient de se retirer de la coalition présidentielle, revoient à présent leurs calculs.

Un acte de traîtrise

Pas de doute : c’est le «facteur Trump» qui a permis à Lula de reprendre la main. En juillet, le président américain avait annoncé une surtaxe de 50 % sur les exportations brésiliennes, dénonçant une «chasse aux sorcières» contre son allié Jair Bolsonaro, reconnu coupable d’avoir tenté de se maintenir au pouvoir après sa défaite face à Lula, en octobre 2022. L’architecte de ces sanctions contre le Brésil n’est autre que le troisième fils de l’ancien président, Eduardo, qui a ses entrées à la Maison Blanche. Le président brésilien a dénoncé un acte de «traîtrise» et campe la défense de la «souveraineté nationale», une position réaffirmée avec force dans son discours le mois dernier devant l’Assemblée générale de l’ONU. Surprise : Donald Trump, qu’il a croisé dans les couloirs du siège onusien, est tombé sous son charme. «Il y a eu une alchimie excellente entre nous», a révélé le locataire de la Maison Blanche, annonçant son intention de s’entretenir avec son homologue brésilien, «un homme qui semble très agréable».

Ce revirement trumpien représente un véritable camouflet pour l’extrême droite brésilienne, qui avait déjà échoué à empêcher la condamnation de son chef de file à vingt-sept ans de prison. La justice ne s’était pas laissée intimider par les pressions de Washington. Le bolsonarisme y a laissé des plumes, observe de son côté l’analyste Malco Camargos : «En plaçant ses propres intérêts au-dessus de ceux du pays, l’extrême droite a perdu du terrain parmi le centre droit qui lui avait permis d’arriver au pouvoir.» Son agenda politique se résume à l’amnistie pour les putschistes. Les députés bolsonaristes ont même adhéré en bloc à une tentative éhontée des partis du Centrão, soit la droite clientéliste et corrompue, de soustraire les parlementaires à toute forme de poursuites judiciaires.

Rebaptisé «amendement du blindage», le texte, approuvé à la mi-septembre, a dû être retiré sous la pression de la rue. C’est donc pour se réconcilier avec l’opinion que le président de la Chambre, Hugo Motta, figure du Centrão, a fini par mettre à l’ordre du jour la réforme de l’impôt. Pour Ivan Valente, «Lula doit maintenant en profiter pour pousser son projet de refonte du système de sécurité publique, une grande préoccupation des Brésiliens qui fait le lit des fascistes». Car la prudence reste de mise, met en garde le député : «L’adversaire a un genou à terre, mais il n’est pas retourné au caniveau.»