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Au Brésil, trois arrestations mettent fin à l’enquête sur l’assassinat politique de Marielle Franco à Rio en 2018

Six ans après la mort de l’élue municipale, militante féministe, antiraciste et LGBT+, tuée avec son chauffeur, deux politiciens et un ex-chef de la police ont été arrêtés. Ils sont les commanditaires présumés du meurtre qui avait marqué le pays.
Lors d'une marche contre le racisme à Lisbonne le 24 février 2024, certains manifestants brandissaient des pancartes à l'effigie de la figure brésilienne Marielle Franco assassinée en 2018. (Armando Franca/AP)
publié le 25 mars 2024 à 19h54

L’enquête sur l’assassinat en 2018 à Rio de Janeiro de Marielle Franco, une conseillère municipale noire issue des favelas, et son chauffeur, a connu dimanche 24 mars une avancée décisive : les trois commanditaires présumés du meurtre qui avait commotionné le pays ont été arrêtés. Ce sont les frères Brazão, l’un haut fonctionnaire, l’autre homme politique, tous deux soupçonnés de longue date de corruption, et un ancien chef de la police de Rio. «L’enquête est terminée», a proclamé en conférence de presse le ministre de la Justice, Ricardo Lewandowski.

Les trois hommes ont été interpellés par la police fédérale à la demande d’Alexandre de Moraes, juge de la Cour suprême fédérale chargé de l’affaire, qui les décrit comme les «architectes» de l’assassinat de l’élue, alors âgée de 38 ans, et de son chauffeur Anderson Gomes, le 14 mars 2018. Rivaldo Barbosa, ex-chef de la police civile de Rio, Domingos Brazão, ex-conseiller de la Cour des comptes de Rio, et son frère, João Chiquinho Brazão, député, ont été placés en détention dans une prison fédérale à Brasilia. «Le crime a été orchestré par les deux frères et méticuleusement planifié par Rivaldo», déclare le juge dans le document qui ordonne leur arrestation.

Le ministre de la Justice a affirmé que, même si de nouveaux éléments pouvaient apparaître, «nous savons très clairement qui sont les auteurs de ce crime odieux, car il est clairement de nature politique». Il a également célébré la «victoire de l’Etat brésilien et des forces de sécurité contre le crime organisé».

L’une des premières réactions a été celle de la sœur de Marielle Franco, Anielle, actuelle ministre de l’Egalité raciale dans le gouvernement du président Lula. «Il y a six ans, ils nous ont pris Marielle et Anderson dans un crime brutal qui a fait vaciller les structures démocratiques du pays, a-t-elle posté sur X. Elucider l’assassinat, qui l’a commandé et pourquoi, sont des réponses nécessaires à la démocratie. Ce combat n’est pas seulement celui des familles, mais de toutes et de tous au Brésil.»

Des aveux après cinq ans de prison

La clé des inculpations de dimanche est la confession de l’homme accusé d’avoir tiré sur les victimes : Ronnie Lessa, ancien membre de la police militaire de Rio, actuellement en prison, aurait livré les trois noms des commanditaires après être resté silencieux durant cinq ans d’emprisonnement. La voiture de l’élue locale avait été criblée de balles au retour d’une soirée-débat avec de jeunes femmes noires, dont elle soutenait le combat contre les discriminations. Bisexuelle, Marielle Franco était aussi une figure de la lutte pour les droits des communautés LGBT+. Sa veuve Mónica Benício siège à son tour aujourd’hui au conseil municipal de Rio de Janeiro.

Le ministre de la Justice a en outre cité deux «motivations fondamentales» du crime : l’activité illégale des milices et l’usurpation de terres. Les groupes armés, apparus il y a une quarantaine d’années, rassemblent d’anciens policiers, des militaires à la retraite, des pompiers ou des citoyens et exécutent de façon expéditive de présumés trafiquants de drogue, de simples habitants des favelas ou des enfants des rues. L’accusé Domingos Brazão était en outre opposé à Marielle Franco, à l’époque sa collègue au conseil municipal de Rio, sur l’utilisation de terrains municipaux, lui voulant les destiner à des fins commerciales, elle encourageant un usage collectif au profit des quartiers.

Un jardin public à Paris

Le ministre a déploré les «presque cinq ans d’investigations infructueuses» en raison de «l’obstruction» de certains des responsables de l’enquête. Le tournant de l’affaire a été le dessaisissement du parquet de Rio, après l’arrivée au pouvoir du président de gauche Lula da Silva, et sa reprise en main par la police fédérale en février 2023.

Ancienne domestique et militante du parti Socialisme et Liberté, une scission de gauche radicale du Parti des travailleurs de Lula, Marielle Franco est aujourd’hui célébrée comme une figure des luttes contre les discriminations en raison du genre, de la couleur ou de l’orientation sexuelle. Son visage orne une multitude de fresques urbaines au Brésil et à travers le monde. La ville de Paris a inauguré en juillet 2019 un jardin Marielle-Franco dans le Xe arrondissement, entre les gares de l’Est et du Nord. Et une allée lui est dédiée à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).