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Conspirationnisme

Au Canada, les climatosceptiques surfent sur les feux de forêt

Les incendies historiques qui dévastent le pays depuis plusieurs semaines ont suscité une vague de commentaires rejetant le lien de causalité avec le réchauffement climatique.
Une colonne de fumée provoquée par un incendie en Colombie-Britannique, le 12 juin. (AFP)
publié le 13 juin 2023 à 15h14

Des «terroristes verts» à l’origine des gigantesques incendies qui ravagent les forêts canadiennes depuis des semaines. Cette théorie saugrenue pourrait prêter à sourire si elle n’émanait pas d’une figure politique reconnue en la personne de Maxime Bernier, qui fut ministre pendant neuf ans, entre 2006 et 2015, dans le gouvernement du conservateur Stephen Harper, notamment aux Affaires étrangères. Le 6 juin, dans un message publié sur ses réseaux sociaux, celui qui est désormais à la tête du Parti populaire du Canada, classé à l’extrême droite, a osé : «Je gage qu’une bonne partie des feux de forêt ont été allumés par des terroristes verts pour donner un coup de pouce à leur campagne de changements climatiques. L’extrême gauche est experte pour inventer et créer des crises qu’elle peut ensuite exploiter.»

«Rien à voir avec les changements climatiques», a-t-il insisté, faisant fi du consensus scientifique établi par les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), selon lequel le dérèglement climatique augmente l’intensité et la fréquence des événements météorologiques extrêmes, tels que les incendies et les inondations.

#ClimateScam, un mot-clé viral

Ces dernières semaines, les feux qui ont frappé l’Alberta, la Nouvelle-Ecosse ou le Québec et détruit près de 5 millions d’hectares à travers le pays (soit près de vingt fois la moyenne de ces dix dernières années à date de début juin) ont suscité au Canada une vague de commentaires de cet acabit, relevant du conspirationnisme ou du négationnisme climatique. Sur Twitter, le mot-clé #ClimateScam (#ArnaqueClimatique) a été utilisée plusieurs milliers de fois, notamment pour contester l’origine des incendies. «Ceux qui voudraient vous faire croire qu’il y a une crise climatique existentielle […] déclenchent les feux de forêt», s’indigne un «citoyen préoccupé» qui compte plus de 60 000 abonnés, vidéo d’un hélicoptère projetant des flammes au-dessus d’une forêt à l’appui – il s’agit en fait d’une utilisation de la technique dite de brûlage dirigé, qui vise justement à endiguer les incendies.

D’autres, au Québec notamment, assurent que les feux sont d’origine criminelle, en voulant pour preuves des images satellites qui montreraient que tous les brasiers auraient été déclenchés «en même temps» – ce qui s’explique par le fonctionnement de la foudre, qui frappe dans plusieurs endroits de manière quasi simultanée mais n’allume pas de feu immédiatement quand le combustible est humide, comme l’a souligné Radio Canada dans un exercice de «débunkage». Par ailleurs, «chaque année, une partie des feux est allumée par les humains, au moins de manière accidentelle, mais ils ne pourraient pas se développer dans de telles proportions sans les évolutions liées au réchauffement climatique, en termes de sécheresse de la végétation notamment», rappelle Julie Talbot, directrice du département de géographie de l’université de Montréal et spécialiste de l’environnement, interrogée par Libération.

«Un écosystème marginal»

«Les discours complotistes sur le climat relèvent d’un écosystème certes très actif, surtout depuis la crise sanitaire, mais marginal», relativise David Morin, spécialiste de la désinformation et des complotismes à l’université de Sherbrooke. Selon une étude publiée en octobre 2022, 68 % des Canadiens pensent que le dérèglement climatique est causé par l’activité humaine – quasiment quinze points de plus que chez le voisin états-unien. Il faut dire qu’entre les températures hallucinantes atteintes en Colombie-Britannique en 2021 (presque 50°C), le passage destructeur de l’ouragan Fiona sur la côte est en septembre 2022 et les incendies de ce printemps 2023, les conséquences des bouleversements climatiques heurtent de plein fouet le Canada, qui se réchauffe deux fois plus rapidement que l’ensemble du monde. «Les discours qui persistent dans le climatoscepticisme sont assez campés à droite, voire à l’extrême droite conservatrice, religieuse ou libertarienne. D’une manière générale, l’extrême droite canadienne a importé les positions de Donald Trump, très enracinées dans les territoires ruraux de l’ouest canadien où l’industrie fossile joue un rôle majeur», reprend David Morin.

La semaine dernière, le Premier ministre de l’Ontario (centre-est), Doug Ford, a suscité la polémique en se disant «choqué» qu’une responsable d’opposition lui enjoigne d’«agir sur l’urgence climatique». «L’opposition politise les feux de forêt», a dénoncé ce représentant du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario (centre droit). Un piège dans lequel n’est pas tombé le gouvernement fédéral, qui a immédiatement dressé un lien de causalité entre dérèglement climatique et propagation historique des incendies. «Ces feux sont plus fréquents à cause des changements climatiques. Ils affectent notre vie, notre gagne-pain et la qualité de l’air. On va poursuivre nos efforts au pays et avec nos partenaires du monde entier pour contrer les changements climatiques et en atténuer les effets», a promis le Premier ministre du Parti libéral, Justin Trudeau… sans convaincre tout le monde. «Le gouvernement dit qu’il veut combattre le réchauffement climatique, mais il continue de distribuer des subventions aux énergies fossiles et d’approuver de nouveaux projets pétroliers, dénonce Laura Ullmann, responsable de campagne climat pour Greenpeace Canada. Il fait du greenwashing.»