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Investiture

Au Guatemala, un Président au bout de la nuit

Après plusieurs heures de manœuvres de la droite pour retarder son accession au pouvoir, le social-démocrate Bernardo Arévalo a revêtu l’écharpe présidentielle dimanche juste avant minuit.
Le nouveau président guatémaltèque, Bernardo Arévalo, et sa femme, Lucrecia Peinado, à la cathédrale de Guatemala City, le lundi 15 janvier 2024. (Cristina Chiquin/Reuters)
publié le 15 janvier 2024 à 17h59

Dimanche matin, le président élu par les Guatémaltèques confiait à un média des Etats-Unis : «Je suis enthousiaste à l’idée d’en finir avec un processus long et tortueux.» Bernardo Arévalo ignorait qu’il n’était pas encore au bout de ses peines. Prévue pour se dérouler en début d’après-midi, la cérémonie de remise de l’écharpe bleue et blanche par son prédécesseur Alejandro Giammattei n’a pu se dérouler que vers minuit, après des heures de grande tension.

La cérémonie protocolaire devait intervenir après l’installation de la nouvelle chambre des députés, élue le même jour que le président, le 20 août. Mais des élus de droite, partisans du conservateur Giammattei, ont joué l’obstruction et prolongé jusqu’à l’absurde les débats pour retarder la prise de fonction d’un chef de l’Etat décidé à combattre la corruption. La majorité des députés ont notamment fait valoir que les 23 élus (sur 160) de Semilla, le parti de centre gauche du nouveau président, ne pouvaient pas siéger sous cette étiquette en raison d’une invalidation prononcée par le parquet il y a quelques mois. Après des heures de débats houleux, c’est finalement un élu de Semilla, Samuel Pérez Alvarez, 31 ans, qui a été désigné président de la Chambre.

Le coup de gueule du Colombien Petro

La nervosité n’a cessé de monter pendant la journée, alors que des manifestants pro-Arévalo se rassemblaient devant le bâtiment du Parlement. Les ministres des Affaires étrangères invités à la cérémonie se sont réunis afin de chercher une parade au comportement déloyal de l’opposition. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a haussé le ton dans un communiqué pour demander que la volonté populaire exprimée dans les urnes soit respectée. Mais le coup de gueule le plus retentissant est à mettre au crédit du président colombien Gustavo Petro : «Je ne quitterai le Guatemala que quand Bernardo Arévalo sera investi, même si je dois manquer le sommet de Davos», a tonné le dirigeant de gauche.

Quand les conditions ont enfin été réunies pour transmettre le pouvoir au nouveau président, certains invités s’étaient déjà éclipsés, dont le président du Chili, Gabriel Boric, qui invoquait un agenda chargé dans son pays ce lundi matin, ou le roi Felipe d’Espagne.

Cette ultime tentative de torpiller l’alternance démocratique illustre la panique d’un clan qui a tenu les rênes du pays quasiment depuis la fin des régimes militaires, en 1986. Le «pacte des corrompus», comme l’a baptisé la presse, réunit autour d’intérêts communs le patronat, la majorité de la classe politique et de nombreux éléments de l’armée. Tous redoutent aujourd’hui de devoir rendre des comptes devant la justice pour détournements de fonds, et, concernant certains militaires, pour les années de guerre civile (1960-1996) dont le bilan est évalué à 100 000 victimes civiles tuées dans le cadre de la répression contre les opposants, les syndicalistes ou de simples paysans.

Tentative d’annuler le résultat du second tour

Pour désamorcer les enquêtes sur la corruption qui visaient notamment son entourage proche, Alejandro Giammattei avait nommé procureure de la République une de ses fidèles, María Consuelo Porras, qui a orchestré les poursuites contre Bernardo Arévalo et son parti après le second tour, et même tenté de faire annuler le scrutin. Plusieurs magistrats qui instruisaient des dossiers délicats ont aussi été menacés et ont préféré quitter le pays. Le retour dans le système judiciaire de ces exilés serait un signal fort de normalisation démocratique. Dans une interview accordée samedi à Libération, Bernardo Arévalo assurait qu’une de ses premières décisions de président serait de convoquer l’acariâtre Porras et «lui demander de démissionner».

Lors de son premier discours, l’ex-diplomate et sociologue de 65 ans a affirmé : «Nous ne permettrons pas que nos institutions se plient à nouveau à la corruption et à l’impunité». «Ce jour marque le début de quatre années d’un mandat qui sera certainement marqué par un certain nombre d’obstacles, dont beaucoup ne sont pas prévisibles à l’heure actuelle», a-t-il ajouté, en soulignant : «D’immenses défis nous attendent.» Il a fixé «l’éducation, la santé, le développement et l’environnement» comme priorités de son gouvernement qui comprend «le plus grand nombre de femmes dans l’histoire» : sept sur quatorze ministres. Plus qu’en France.

Le président américain, Joe Biden, a félicité son homologue lundi, qualifiant son investiture de «témoignage de notre engagement commun en faveur de la démocratie et de la volonté du peuple». Samedi, une enquête du Washington Post décrivait les efforts discrets du département d’Etat américain pour déjouer les plans visant à priver Arévalo de sa victoire. Un autre élément important a été la mobilisation en faveur du nouveau chef de l’Etat des communautés autochtones mayas, traditionnellement éloignées du débat politique alors qu’elles représentent près de la moitié des 18 millions d’habitants du pays.