Neuf jours que les proches d’Isidro Mora sont sans nouvelle de lui. L’évêque du diocèse de Siuna, dans le nord-est du Nicaragua, a été arrêté par la police mercredi 20 décembre, alors qu’il se dirigeait vers la paroisse de Santa Cruz, sur la côte caribéenne de ce pays d’Amérique centrale. La veille, l’homme de 53 ans avait rendu hommage dans son homélie à l’évêque de Matagalpa, Rolando Alvarez, figure de l’opposition à la dictature du président Daniel Ortega et de son épouse Rosario Murillo, condamné le 10 février à vingt-six ans et quatre mois de détention pour «conspiration et diffusion de fausses nouvelles». Isidro Mora avait transmis à son confrère les «prières» de la Conférence épiscopale du Nicaragua, convoquant la parabole évangélique de la brebis égarée : «Nous vivons une époque, frères et sœurs, où nous devons en laisser une pour aller à la recherche des 99.»
Rolando Alvarez, qui a refusé l’exil que souhaitait lui imposer le pouvoir, a été privé à perpétuité de ses droits civiques et de sa nationalité, et se trouve à l’isolement dans une prison proche de la capitale Managua. A propos d’Isidro Mora, cependant, la police n’a toujours pas communiqué, ni sur les accusations portées contre lui ni sur le lieu de son incarcération. Ce jeudi 28 décembre, le bureau pour l’Amérique centrale et les Caraïbes du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a condamné un cas de «disparition forcée», qui s’ajoute à «une nouvelle vague d’arrestations de religieux». Une référence à l’incarcération depuis la mi-décembre d’une dizaine d’ecclésiastiques, parmi lesquels les vicaires Oscar Escoto Salgado (depuis libéré) et Carlos Aviles. «En plus de porter atteinte à la liberté personnelle des religieux, [ces événements] violent la liberté de religion, pilier de tout Etat démocratique», a souligné l’agence onusienne dans un message publié sur le réseau social X (ex-Twitter).
Cible récurrente
C’est que l’Eglise catholique est devenue, au cours de ces cinq dernières années, une cible récurrente du régime autoritaire dirigé depuis 2007 par Daniel Ortega, à la tête d’un pays d’environ 6 millions d’habitants dont près de la moitié sont des catholiques. En 2018, lors des manifestations massives déclenchées par un projet de réforme des retraites, le clergé s’était rangé du côté des protestataires, contre la répression policière qui avait coûté la vie à plus de 300 personnes. Depuis, les relations entre l’exécutif nicaraguayen et le Vatican ont dégénéré. Ce dernier a fermé son ambassade à Managua et le pape François a comparé le régime orteguiste à une «dictature hitlérienne», pendant que les attaques à l’encontre de l’Eglise s’accumulaient au Nicaragua : agressions physiques, insultes publiques, fermeture d’associations, profanation de sites religieux, gel de comptes bancaires…
«Rien qu’en 2023, nous avons recensé 275 agressions. C’est le chiffre le plus élevé depuis cinq ans», observe dans une interview à El Pais l’avocate spécialiste Martha Patricia Molina, autrice d’un rapport intitulé Nicaragua : une Eglise persécutée. Selon elle, «le but de cette persécution est toujours le même : la disparition complète de l’Eglise catholique au Nicaragua, parce que les prêtres et les évêques ne se sont pas agenouillés devant la dictature, parce qu’ils n’en sont pas devenus des complices». Plus de 80 religieux nicaraguayens sont en exil, dont un groupe de 12 prêtres envoyés à Rome en octobre après avoir été incarcérés. Depuis les Etats-Unis où il réside désormais, après avoir été contraint en 2019 de quitter le Nicaragua en raison de son discours hostile au pouvoir en place, l’évêque Silvio Baez s’est indigné de la «séquestration injuste» de ses confrères : «Je demande à Dieu qu’il les protège et qu’ils soient libérés immédiatement !»