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Dictature

Au Nicaragua, l’Eglise reste la cible du régime

Douze prêtres emprisonnés après avoir critiqué le régime socialiste de Daniel Ortega ont été expulsés mercredi vers l’Italie. L’ancienne présidente Violeta Chamorro, symbole de la démocratie, s’est-elle même exilée mercredi, le jour de ses 94 ans.
L'évêque de Matagalpa Rolando Alvarez en mai 2022. Condamné à vingt-six ans et quatre mois de réclusion pour «trahison, conspiration, atteinte à l’intégrité nationale et diffusion de fausses nouvelles», il a refusé d'être expulsé vers le Vatican et continue à purger sa peine. (AFP)
publié le 19 octobre 2023 à 20h01

Douze prêtres catholiques détenus pour avoir critiqué la dictature sandiniste ont été libérés et transférés mercredi à Rome après la conclusion d’un accord entre le gouvernement de Daniel Ortega et le Vatican. Mgr Rolando Alvarez, évêque de Matagalpa et figure de proue des religieux contestataires dans le pays, ne fait pas partie du groupe. D’après les informations du journal en ligne la Prensa, il a refusé l’exil et préféré rester en prison où il purge, depuis son procès expéditif en février, une peine de vingt-six ans et quatre mois de réclusion pour «trahison, conspiration, atteinte à l’intégrité nationale et diffusion de fausses nouvelles».

«Un accord a été conclu pour le transfert au Vatican des douze prêtres qui, pour différentes raisons, ont été poursuivis et sont partis en Italie cet après-midi», avait annoncé mercredi soir le gouvernement nicaraguayen dans un communiqué. Six des religieux avaient été arrêtés ces deux dernières semaines. D’autres avaient été jugés et condamnés. Un exemple des chefs d’accusation retenus : «Actes qui sapent l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination de la nation».

Sanglante répression du printemps 2018

Juste avant sa condamnation, Mgr Rolando Alvarez, né au Nicaragua et formé en Europe, avait déjà refusé d’être expulsé aux Etats-Unis avec plus de 200 autres opposants libérés par le gouvernement et était retourné en prison. Il avait, comme la quasi-totalité des dissidents, été privé de sa nationalité nicaraguayenne et de ses droits civiques à perpétuité.

Le régime socialiste et autoritaire de Daniel Ortega et sa femme, la vice-présidente Rosario Murillo, est en guerre contre l’Eglise catholique depuis que celle-ci avait dénoncé la répression sanglante contre les manifestations d’opposants, au printemps 2018. Le bilan de ces violences, d’après l’ONU, avait dépassé les 300 morts. Au Nicaragua, près de la moitié des 6,3 millions d’habitants sont catholiques.

En août, l’université d’Amérique centrale de Managua, dirigée par les jésuites, a annoncé qu’elle suspendait ses cours ainsi que toutes ses activités après l’annonce par le gouvernement de la saisie de tous ses biens, l’accusant de «terrorisme». Début 2022, c’est le nonce apostolique (ambassadeur du Vatican) que le régime décidait d’expulser. Toutes les activités de Caritas, l’équivalent du Secours catholique, ont été interdites, à l’instar de 3 500 ONG, sous l’accusation d’être des «agents de l’étranger». Dans la plupart des cas leurs biens ont été confisqués. Dans ses diatribes, le président et ancien guérillero, au pouvoir depuis dix-sept ans, qualifie l’église catholique de «mafia».

Première présidente élue en Amérique

Environ 200 000 Nicaraguayens auraient pris le chemin de l’exil depuis la répression de 2018. La moitié se trouve dans le Costa Rica voisin. 50 000 auraient émigré aux Etats-Unis, notamment en Floride (où un quartier de Miami est appelé «Little Managua») et 25 000 en Espagne. Parmi les récents exilés, une femme a quitté le pays mercredi, le jour de ses 94 ans : l’ancienne présidente Violeta Chamorro, qui en battant les sandinistes en 1990, devint la première femme élue présidente dans l’histoire du continent américain.

Celle qu’on appelle avec respect «Doña Violeta» rejoint ainsi ses enfants, liés au mouvement démocratique et vivant hors du Nicaragua : Cristiana Chamorro, que le régime avait emprisonnée pour l’empêcher de se présenter contre le couple Ortega à l’élection présidentielle de 2021, et Carlos Chamorro, qui dirige au Costa Rica le journal d’opposition la Prensa, interdit par la dictature.