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Dictature

Au Nicaragua, vers une élection sans opposition

Le dernier parti encore en lice pour affronter Daniel Ortega en novembre a été exclu du processus électoral ce week-end, laissant le champ libre au dictateur pour une nouvelle réélection.
Le président du Nicaragua Daniel Ortega, le 21 février 2020, (INTI OCON/AFP)
publié le 9 août 2021 à 18h50

Ça ressemble en tout point à l’ultime acte d’une parodie électorale annoncée de longue date. Tard dans la soirée vendredi, la seule réelle force d’opposition restante au Nicaragua a été mise hors course. Le Conseil suprême électoral (CSE), pieds et poings liés au dictateur Daniel Ortega, a annoncé révoquer la personnalité juridique du parti Citoyens pour la Liberté (CxL), l’empêchant de fait de participer à l’élection présidentielle du 7 novembre. En mai, deux autres partis d’opposition avaient déjà été disqualifiés.

L’institution a répondu à une plainte du Parti libéral constitutionaliste (droite, proche du pouvoir), qui dénonçait le fait que la présidente du CxL, Carmella Rogers Amburn, ait «la double nationalité américaine et nicaraguayenne», ce qui était «en violation notoire de la loi». Moins de deux heures après avoir été saisi, comme le rapporte le journal d’opposition Confidencial, le CSE lui donnait raison, bannissant donc le CxL du scrutin à venir de manière arbitraire, et annonçant retirer à sa présidente la nationalité nicaraguayenne.

«Un scrutin plié d’avance»

Le pouvoir électoral a également justifié sa décision en s’appuyant sur la loi «de défense des droits du peuple à l’indépendance, à l’autonomie et à l’autodétermination pour la paix» que le parti aurait violé. C’est sur cette même loi, dont les contours ont volontairement été laissés flous, que le pouvoir s’est appuyé ces derniers mois pour enfermer ou assigner à résidence un à un tous ses opposants. Ils sont aujourd’hui 32, dont sept précandidats déclarés, à avoir vu la police débarquer à leur domicile, et à ne pas avoir pu se présenter à l’élection.

«C’est un scrutin plié d’avance. On est désormais face à une élection qui n’en a que le nom, puisqu’il ne reste aucun parti d’opposition pouvant présenter un candidat, ni même accompagner et surveiller la procédure électorale», analyse Maya Collombon, enseignante-chercheuse à Sciences-Po Lyon, spécialiste du Nicaragua. Les partis avaient en effet jusqu’au 2 août – s’ils en étaient autorisés – pour déposer leur candidature. Date que le conseil électoral a soigneusement attendu de voir passer pour dégager l’ultime force d’opposition encore en course.

Cinq ans après, bis repetita

Impossible de ne pas faire un parallèle avec 2016, lorsque Daniel Ortega et Rosario Murillo, son épouse et vice-présidente, avaient été très largement élus dans un scrutin vidé de toute opposition, les principaux partis ayant déjà été interdits de concourir. Bis repetita donc cinq ans plus tard, à ceci près que le contexte politique est aujourd’hui bien différent. Entre-temps, en 2018, la jeunesse nicaraguayenne est descendue dans la rue, soutenue par une grande partie de la population. Face à la contestation, le pouvoir a répondu par la force en tirant à balles réelles dans la foule, arrêtant des opposants par dizaines, et contraignant plus de 100 000 Nicaraguayens à l’exil (sur 6,5 millions d’habitants). Il fait depuis régner un climat de terreur dans le pays.

Le 7 novembre, les électeurs ne seront pourtant pas contraints de glisser dans l’urne un bulletin du Front sandiniste de libération nationale (FSLN, le parti d’Ortega). Cinq micros partis – surnommés les «partis moustiques» par l’opposition – sont encore en lice pour faire de la figuration, et laisser croire à un scrutin disputé. «Ils ne représentent quasiment rien et tous leurs candidats déclarés sont des proches d’Ortega, souffle Maya Collombon. De toute façon, ils ne feront que peu ou pas campagne. Tout l’enjeu pour eux est de ne pas abîmer l’hégémonie sandiniste.»

Des sanctions qui ne changent rien

Ancien révolutionnaire, qui a contribué à faire tomber la dynastie des Somoza, Daniel Ortega s’est ces dernières années fortement inspiré de la famille dictatoriale qu’il a un temps combattue. Vaincu dans les urnes en 1990, après onze ans au pouvoir, Ortega a reconquis la présidence en 2007, et fait tout depuis pour garder les rênes du pays, changeant la loi et la Constitution en sa faveur, minant les institutions de l’intérieur, et truquant donc à l’avance chacune des élections. Depuis le point d’orgue atteint en 2018, et face aux menaces de condamnations pour crimes contre l’humanité qui planent au-dessus de sa tête, le dictateur de 75 ans n’a plus rien à perdre et ne semble pas prêt à lâcher le pouvoir.

Les nombreuses sanctions auxquelles son clan fait face en dehors de son pays n’y changent rien. Vendredi, les Etats-Unis ont une nouvelle fois tapé du poing sur la table en gelant les visas de cinquante de ses proches, avant qu’Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, ne dénonce «un coup de grâce porté aux perspectives d’une élection libre et équitable» au Nicaragua «motivé par la crainte d’une défaite électorale». Lundi dernier, l’Union européenne avait déjà imposé de nouvelles sanctions à l’encontre de Rosario Murillo et d’une poignée de dignitaires du régime pour leur responsabilité dans les «graves violations des droits de l’homme» commises dans ce petit pays d’Amérique centrale. Rien cependant qui suffise à faire trembler Daniel Ortega.