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Narcos

Au Paraguay, le trafic de cocaïne trace son sillon

Plaque tournante émergente du marché mondial de la drogue, le pays d’Amérique du Sud, secoué par l’assassinat d’un procureur antidrogue, des affaires de corruption dans le football et la menace d’un très puissant cartel brésilien, semble démuni face au crime organisé.
A Hambourg en février 2021, les douanes avaient mis la main sur plus de seize tonnes de cocaïne en provenance du Paraguay, une saisie record en Europe. (BODO MARKS/dpa Picture-Alliance via AFP)
publié le 12 juin 2022 à 17h25

Mercredi, la presse du Paraguay annonçait la capture d’un des hommes les plus recherchés du pays : Diego Benítez Cañete, poursuivi pour trafic de stupéfiants. Cet ancien dirigeant du club de football Olimpia Asunción était introuvable depuis le mois de mars, quand avait été émis un mandat d’arrêt contre lui. Il aurait été détenu à Dubaï, dans les Emirats Arabes Unis. Jeudi, le ministre de l’Intérieur Federico González appelait à la prudence en soulignant qu’Interpol n’avait pas confirmé officiellement l’arrestation.

Pour la justice paraguayenne, Diego Benítez est très probablement l’homme qui a convoyé vers l’Europe, par bateau, une cargaison de 16,2 tonnes de cocaïne saisie le 10 février 2021 dans le port de Hambourg. C’est une prise historique, la plus importante jamais réalisée en Europe. Loin certes des records mondiaux, établis aux Etats-Unis : 20 tonnes à Los Angeles en 1989, 27 tonnes en août 2021 en Floride.

Pots de peinture

Le stock du port de Hambourg avait voyagé dans plusieurs conteneurs. Les pains de cocaïne étaient dissimulés dans 17 000 pots métalliques de peinture. L’expéditeur : Pinturas Tupa, une entreprise dont le siège est à Limpio, près de la capitale Asunción. Son fondateur et directeur est Diego Benítez Cañete. Le destinataire : un importateur de Rotterdam, désigné par la presse sous le prénom Atif. Après la gigantesque saisie par les douaniers allemands, les enquêteurs avaient repéré que le même bureau d’import néerlandais attendait à Anvers une autre cargaison, en provenance de Panama. Dix jours plus tard, re-bingo : 7,2 tonnes de cocaïne sont découvertes, cette fois-ci dans une livraison de bois.

Au Paraguay, le marchand de peinture jure sa bonne foi : il se dit victime du «crime organisé international» qui aurait introduit la drogue dans les conteneurs à son insu. Peut-être lors d’une escale à Buenos Aires, puisque le porte-conteneurs est à la fois fluvial et maritime. Il navigue sur le fleuve Paraguay, puis sur le Paraná en Argentine, et gagne l’Atlantique par l’estuaire du Rio de la Plata.

Ce n’est cependant pas grâce au commerce d’enduit et d’acrylique que Diego Benítez s’est fait connaître dans son pays. En 2017, il est nommé gérant de l’Olimpia Asunción, le doyen du football paraguayen (il a été créé en 1902) et club le plus titré. Le franjeado (surnom dû à son maillot blanc barré par une large frange noire) a même été sacré meilleure équipe du monde en 1979, en remportant la Coupe Intercontinentale. En 2018, le président du club, le jeune et ambitieux Marco Trovato, fait entrer Benitez au comité directeur de l’Olimpia.

Matches arrangés

Son arrivée coïncide avec une série d’excellents résultats : entre 2018 et 2020, le franjeado remporte plusieurs titres nationaux. Trop peut-être : à la suite de résultats suspects, la Fifa lance une enquête, dont le résultat est accablant pour l’équipe dirigeante. Au moins 12 matches ont été arrangés au bénéfice d’Olimpia, des joueurs adverses ayant baissé le pied moyennant finances. Des messages échangés sur des messageries téléphoniques et des chèques maladroitement utilisés sont les pièces à conviction.

Marco Trovato écope des sanctions les plus lourdes prévues par les règlements de la Fifa : interdiction à vie d’occuper des responsabilités dans un club, et une amende de 100 000 francs suisses. Il entraîne son ami Benitez dans sa chute. Mais la justice non sportive s’intéresse aussi aux deux hommes. Benitez était le gérant d’une fondation sans but lucratif à laquelle avaient été transférées toutes les activités financières de l’Olimpia. Un appareillage opaque dans lequel le Secrétariat à la prévention du blanchiment (Seprelad) détecte un grand nombre de bizarreries comptables.

Beaucoup d’analyses, dont celle de l’ONG Insight Crime, spécialisée dans l’étude de la criminalité en Amérique latine, soulignent que le Paraguay est devenu l’un des principaux points de passage du trafic de cocaïne, et que l’influence du crime organisé brésilien y est de plus en plus présente. La ville de Pedro Juan Caballero, dans l’est du pays, est un bon exemple. Une vaste avenue y fait office de frontière : un trottoir est au Paraguay, l’autre est à Ponta Porã, au Brésil. Fief de trafiquants comme toute cité frontalière, elle est passée depuis une quinzaine d’années sous la coupe du Premier commando de la capitale (PCC), le cartel le plus puissant du Brésil. Qui a éliminé progressivement (et violemment) les familles mafieuses locales pour s’assurer le monopole des commerces illicites.

Evasion à l’ancienne

La toute-puissance du PCC s’est manifestée avec éclat en janvier 2020, avec l’évasion de 76 membres du cartel de la prison de la ville. A l’ancienne : ils avaient creusé un simple tunnel de 40 mètres de long entre les sanitaires et la rue. Dehors, cinq camionnettes les attendaient, sans éveiller le moindre soupçon. «Il est évident que le personnel savait et n’a rien fait», avait estimé la ministre de la Justice, Cecilia Pérez. Le directeur du pénitencier avait été limogé, et trente gardiens arrêtés.

Dans les jours suivants, nouveau coup de semonce : deux hauts fonctionnaires démissionnaient après avoir été mis en cause dans un rapport du ministère de la Justice du Brésil, qui les soupçonnait d’avoir reçu cadeaux et pots-de-vin du parrain du PCC, Sergio de Arruda Quintiliano Neto, alias «le Minotaure», emprisonné au Brésil depuis 2019. Il s’agissait d’un procureur et du vice-ministre de la politique criminelle, Hugo Volpe. La justice n’ayant ouvert aucune enquête contre lui, il s’est reconverti et, devenu avocat, il assure désormais la défense de Diego Benítez, le marchand de peinture.

Ces dossiers étaient en partie suivis par le procureur Marcelo Pecci, 45 ans, tué le 10 mai sur une plage de Colombie où il passait sa lune de miel. Cinq exécutants ont été arrêtés, et le chef de la police colombienne, le général Jorge Luis Vargas, a clairement désigné dans un tweet le PCC comme commanditaire de l’assassinat. Le cartel aurait versé les 530 000 dollars que s’est partagé le commando réuni pour exécuter le contrat : le coordinateur, le chauffeur, le tireur et les deux fixeurs chargés de localiser la cible à abattre, sur l’île caraïbe de Baru. Une tâche à la portée du premier venu, puisque le magistrat et sa femme postaient leurs images de vacances sur Instagram.