Menu
Libération
Vu de Caracas

Au Venezuela, nouveau bras de fer en vue après l’élection contestée de Nicolás Maduro

Tous les candidats à la présidentielle du 28 juillet sont convoqués devant le Tribunal suprême de justice ce vendredi 2 août pour régler le contentieux. Et de nouvelles manifestations ont été convoquées samedi par l’opposition et le gouvernement.
Les leaders de l'opposition María Corina Machado et Edmundo González entourés de leurs soutiens le 30 juillet à Caracas, deux jours après l'élection présidentielle au résultat contesté. (Matias Delacroix/AP)
publié le 2 août 2024 à 7h32

Serait-ce le bout du tunnel ? En tout cas le terme d’une étrange semaine au Venezuela, faites de montagnes russes et d’une tension permanente. Ces vendredi et samedi, pouvoir et opposition sont de nouveau appelés à s’affronter, d’abord au sein d’un Tribunal suprême de justice (TSJ) – jugé très proche de Nicolás Maduro –, puis dans la rue pour tenter de mettre fin à la crise électorale entamée dimanche.

La réélection contestée de Nicolás Maduro a plongé le pays dans une énième crise politique, particulièrement violente. Entre les immenses manifestations du début de semaine, et leur répression brutale – qui aurait fait entre 11 et 15 morts selon les ONG –, tous les yeux étaient tournés cette semaine vers le Conseil national électoral (CNE). Celui-ci a proclamé le président socialiste vainqueur, lundi, avec 51,2 % des voix sur la base de 80 % des bulletins dépouillés, sans toutefois présenter les procès-verbaux qui doivent attester du résultat. La faute à «une cyberattaque» venue de Macédoine du Nord, selon Nicolás Maduro, qui assure disposer de 100 % des bulletins, sans là non plus les montrer.

L’opposition, qui l’accuse d’avoir massivement fraudé pour se maintenir au pouvoir, a quant à elle compilé plus de 80 % des bordereaux électoraux, qu’elle a publiés en accès libre sur Internet. Ils donnent le candidat Edmundo González vainqueur avec 67 %, contre 30 % seulement pour le chef de l’Etat. Soit un retard impossible à combler avec les bulletins manquants. La convocation de tous les candidats – ils étaient dix en tout – au TSJ ce vendredi à 14 heures heure locale (20 heures à Paris), doit leur permettre de remettre ces procès-verbaux afin de régler le litige. Elle fait suite à un recours en droit déposé par Nicolás Maduro lui-même, mercredi.

Menaces

Le problème, pour l’opposition, c’est que les juges de ce tribunal ont tous été nommés par le président vénézuélien, tout comme le directeur du CNE, Elvis Amoroso, qui a proclamé sa victoire lundi. «La voie institutionnelle au Venezuela n’existe pas parce que le gouvernement contrôle les institutions, comme le confirme l’annonce non étayée du CNE après l’élection, appuie le chercheur Mariano de Alba. La vérification impartiale des résultats ne peut être faite que par une institution internationale.» Pour de nombreux opposants, notamment la cheffe de campagne Delsa Solórzano, le TSJ «n’a pas la compétence pour certifier des résultats électoraux, encore moins quand ils n’ont pas été publiés par les autorités électorales». On voit donc mal Edmundo González se présenter devant une telle instance.

D’autant que cet ancien diplomate de 74 ans, devenu candidat un peu malgré lui, et la cheffe de file de l’opposition María Corina Machado, interdite de participer, sont menacés d’être arrêtés. Le duo, que le gouvernement qualifie de «démoniaque», se cache depuis mercredi, et les menaces proférées par de hauts dignitaires chavistes. Nicolás Maduro lui-même les a tenus responsables d’une tentative de «coup d’Etat fasciste» lors des manifestations pourtant spontanées contre sa réélection, et assuré qu’ils méritaient de «finir derrière les barreaux». Dans une tribune publiée jeudi par le Wall Street Journal, María Corina Machado dit «craindre pour sa vie» et être forcée de «se cacher», tandis que ses équipes assurent qu’elle est en sécurité.

Dans la soirée, l’ex-députée de 56 ans a décidé malgré tout de défier le gouvernement en convoquant, dans un message diffusé sur les réseaux sociaux, une grande manifestation à Caracas, ce samedi à 10 heures. Tandis qu’une autre manifestation a été convoquée au même moment par Nicolás Maduro. Un jeu dangereux, d’autant qu’après la féroce répression de la semaine, qui a visé autant des manifestants que des assesseurs de l’opposition, arrêtés à leur domicile, la peur est omniprésente. Après trois jours de tension, la ville semblait avoir retrouvé un semblant de normalité jeudi et il n’est pas sûr que les opposants soient à prêts à reprendre de nouveau le risque de manifester.

Pression internationale

«Le monde verra la force et la détermination d’une société déterminée à vivre en liberté», veut croire l’opposante qui espère obtenir le soutien de nombreux pays pour faire pression sur le gouvernement de Nicolás Maduro, et qu’il accepte de reconnaître sa défaite. Les Etats-Unis, via son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, ont d’ailleurs fait un pas de plus vers la reconnaissance d’une victoire de l’opposition : «Compte tenu des preuves incontestables, il est clair pour les Etats-Unis et, surtout, pour le peuple vénézuélien, qu’Edmundo González Urrutia a gagné le plus de voix lors de l’élection présidentielle du 28 juillet.» Ce jeudi, trois pays gouvernés par la gauche, le Brésil, la Colombie et le Mexique, ont demandé qu’une «vérification impartiale des résultats» du scrutin soit faite «avec célérité».

«La question du résultat de la présidentielle n’est plus un problème technique, ni même un problème juridique, c’est un problème politique, analyse Eugenio Martinez, spécialiste du système électoral vénézuélien. Et pour trouver une solution politique, il faut une négociation impliquant le gouvernement de Nicolás Maduro, l’opposition vénézuélienne et les alliés régionaux des deux blocs.» Sauf que pour l’instant, le chef d’Etat vénézuélien, qui s’enferre dans une rhétorique anti-impérialiste et victimaire, semble plus pressé de punir «les fascistes» qui ont manifesté en début de semaine, que de négocier. Renforçant ainsi sa stature d’homme fort du Venezuela.

Il a tout de même donné un gage, ce jeudi sur X, en publiant le contenu d’un accord passé au Qatar à l’automne avec les Etats-Unis, resté jusqu’ici secret. Le texte prévoit une levée des sanctions économiques imposées par Washington en échange d’élections libres et transparentes. Nicolás Maduro dit accepter de reprendre les discussions uniquement sur la base de cet accord. Omettant de préciser qu’avant même le scrutin contesté, il avait déjà outrepassé au moins deux points sur lesquels il s’était engagé : que tout candidat soit libre de participer, et qu’une mission électorale de l’Union européenne soit invitée.