L’arraisonnement récent dans la Marne d’un avion roumain rempli de passagers venus d’Inde et censé atterrir au Nicaragua est une nouvelle illustration de ce qu’on sait de longue date : le pays dirigé d’une main de fer par Daniel Ortega et sa femme est devenu un «hub» pour les candidats à l’immigration du monde entier. Et dont l’unique destination est les Etats-Unis.
2023 a été marquée par une forte hausse du nombre de migrants entrés clandestinement en territoire américain, tendance qui s’est intensifiée à l’automne : la police des frontières américaine (CBP) a fait état de 53 016 passages la dernière semaine de novembre, puis 69 462 la première semaine de décembre. Le rythme actuel atteindrait 10 000 personnes par jour. Ces chiffres ne concernent ni les entrées autorisées par le programme «humanitarian parole» (visas humanitaires) ni celles qui ont échappé aux forces de l’ordre.
Débordée et en manque d’effectifs
Le gouvernement du Mexique estimait en octobre à 1,7 million le nombre d’individus qui ont atteint sa frontière nord en 2023. La plupart des candidats au rêve américain viennent de Cuba, Haïti et le Venezuela, mais les origines des arrivants se diversifient : les ressortissants d’Afrique et d’Inde sont en forte hausse.
Débordée et en manque d’effectifs, la Border Patrol a fermé trois points de passage qui enregistraient les demandes d’immigration légale, pour concentrer ses forces sur la chasse aux clandestins et aux passeurs. L’administration Biden se dit prête à financer 1 300 postes supplémentaires, et le CBP a publié des annonces pour des postes très bien rémunérés, avec une prime de 10 000 dollars par embauche. Somme doublée pour qui accepte de travailler dans une zone sensible ou à risque.
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Cette pression migratoire est suffisamment inquiétante pour avoir motivé une rencontre d’urgence, mardi 26 décembre, entre officiels américains et mexicains. Deux mois plus tôt, le 22 octobre, les chefs d’Etat de huit pays s’étaient déjà rencontrés au Mexique autour du même agenda.
Trumpiste au Texas et sonnette d’alarme à New York
La rencontre de cette semaine, où se sont réunis le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, et le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a donné lieu à des communiqués de satisfaction des deux parties. «Nous sommes parvenus à d’importants accords au bénéfice de nos peuples et de nos nations», a proclamé le chef d’Etat, en se gardant de donner des détails concrets. «Nous avons été vraiment impressionnés par certaines des nouvelles actions qu’entreprend le Mexique», s’est félicité de son côté le chef de la délégation américaine.
Si les deux voisins entrent en année d’élection présidentielle (au Mexique le 2 juin, aux Etats-Unis le 5 novembre), l’enjeu est plus important côté nord. Les élus républicains au Congrès exigent un accord sur l’immigration avec le gouvernement de Joe Biden en échange de leur soutien à une nouvelle enveloppe d’aide pour l’Ukraine. Washington a d’ailleurs annoncé mercredi le déblocage de 250 millions de dollars d’aide militaire pour Kyiv, dernière tranche disponible sans un nouveau vote au Congrès.
Pendant ce temps, une caravane de milliers de migrants, qui a quitté le sud du Mexique la veille de Noël, poursuit sa progression pour tenter de rejoindre les Etats-Unis, où Donald Trump multiplie ses attaques contre les démocrates. Au Texas, le gouverneur trumpiste, Greg Abbott, a signé le 18 décembre une loi qui crée l’infraction d’entrée illégale, punie de six mois de prison, vingt ans en cas de récidive. Le texte, censé entrer en vigueur en mars, doit auparavant être examiné par la Cour constitutionnelle texane, car il entre dans un champ dévolu à l’Etat fédéral.
Abbott ne s’arrête pas là. Il a pris l’habitude d’affréter des bus ou des avions pour se débarrasser de dizaines de milliers de migrants arrêtés chez lui vers des villes dirigées par des maires démocrates. New York en particulier, qui se plaint d’avoir vu arriver «plus de 161 500 demandeurs d’asile» depuis le printemps 2022. La métropole gère 214 sites, en majorité des hôtels réquisitionnés, pour offrir un hébergement d’urgence à ces migrants.
Le maire de New York, le démocrate Eric Adams, a tiré cette semaine la sonnette d’alarme après l’arrivée en une seule nuit de 14 bus provenant du Texas. Il a pris un décret mercredi pour obliger les compagnies de transport à prévenir la ville avec au moins trente-deux heures d’avance des arrivées de véhicules, qui seront centralisées au même endroit dans le centre de Manhattan, uniquement le matin des jours de semaine. La décision d’Adams est symptomatique du malaise de nombreux édiles démocrates, qui demandent à Joe Biden une politique plus répressive dans le traitement des clandestins.